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« Tout était promis à la destruction ! » (Jacques Burtin)
Ces mots, à eux seuls, suffisent à dire la peur qui peut étreindre tout artiste quand, un jour, celui-ci viendra à disparaître... Éric Le Blanche (1951-2016) y a-t-il seulement songé dans les derniers instants de sa vie, lui qui, secrètement, a peint durant toute son existence ?
Décédé dans la plus grande solitude d'un Ehpad, ne risquait-il pas à son tour d'être l’un de ces artistes dont l'œuvre se voit un jour côtoyer le fracas de la destruction et le silence de la disparition ?
« Il faut sauver le peintre Éric Le Blanche ! »
Cette phrase a résonné dans la tête de Jacques Burtin, un certain jour de 2018, puisque prévenu par un ami, il fut l'un des rares témoins à pénétrer dans ce lieu de création qu'était la Villa Palatine, à Vouvant, en Vendée.
Ces petits dessins, dont les originaux ne sont guère plus grands qu'un timbre poste, furent réalisés il a une trentaine d'années. Au cours de ces trois derniers mois, je les ai extraits de leur enveloppe dans laquelle ils dormaient depuis deux décennies pour leur redonner une nouvelle vie.
Ils avaient été les esquisses d'une plaquette "À fleur de sève", que j'avais réalisée à compte d'auteur en 1992, mais aussi de quelques toiles, (malheureusement volées par une galériste indélicate lors de mon exposition à Rouen en 1999).
J'ai toujours été attiré par les arbres, par ces troncs et ces ramures, intrigué devrais-je plutôt dire ; On se plait à les voir comme des traits d'union entre le ciel et la terre. C'est vrai, mais ils sont tous si différents, même au sein d'une même famille. Un érable ne ressemble pas à un autre érable, ni un chêne à un autre chêne : question de terres et de lieux, question de vent aussi...
Je les aime dans la richesse de leurs diversités et la lumière de toutes les saisons.
Arbre au jardin - 1996 - craie noire et blanche sur carton 0,15 x 0,45
Où fut l'arbre
Je suis le chemin
Où bruissent les feuilles
Je suis le silence
Où dorment les racines
Mes yeux sont ouverts
Je médite
Entre songe et veille
L'arcane des saisons.
Arbres, soyezTextes de Anne GOYEN
Les poètes n'ont pas manqué de rendre hommage à ces arbres, que ce soit en vers ou en prose... et là, je pense à Hugo, à Rimbaud, à Prévert (Arbres), à Malrieu, à Jaccottet (La Semaison) et à tant d'autres...
Dernièrement, j'ai découvert un petit livre de Anne Goyen aux éditions Ad solem,au titre évocateur : "Arbres, soyez".
En quatrième de couverture, on peut lire : "Comme un poème vertical, les arbres nous apprennent à "vivre debout" dans la patience du temps. Du plus haut au plus profond, l'arbre est comme l'intime échelle de Jacob où la danse des anges relie en songe Terre et Ciel."
Je me suis appuyé sur certains de ses textes et d'autres de Philippe Jaccottet, comme on s'appuie contre un tronc noueux et solide, pour essayer de mettre en résonnance la beauté des mots de ces poèmes et mon attention intérieure à la vie des saisons, chercher à faire jaillir du nouveau de l'ancien, et vivre un moment privilégié de re-création.
Printemps, Carton 0.54 x 0.65 2022
De cime en cime
Chants d'oiseaux
Bruissements de feuilles
Pérenne louange
À la lumière
Dessous l'écorce
Feuilles d'allégresse
À l'orée du jour
Chuchotent sous la brise
Les simples secrets du ciel.
Anne Goyen - Arbres, soyez 2013
Au-dessus du paysage familier, presque su par cœur, cet espace soudain inconnu, ce ciel du Greco. Il ne s'agit pourtant que de quelques vapeurs au-delà desquelles toute la géométrie orfévrée est intacte, de nœuds noués par des vents, du souffle agité des forêts et de la terre au printemps, de torchons humides.
Philippe Jaccottet. La Semaison 1954-1967 - mars.
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Été, Carton 0.54 x 0.65 2022
Racinant loin
Par les pieds
Dans notre histoire ténébreuse
Et par la tête
Nous risquant
Au delà des nuages
Vers un monde invisible
Et qui nous touche
de toutes parts
Nous habitons
L'ombre d'un cœur
Qui bat jusqu'aux étoiles.
Anne Goyen - Arbres, soyez 2013
Et, bien que cette floraison ne fut guère plus durable que les autres, elle ne donnait au regard, au cœur, nulle impression de fragilité, de fugacité. Sous ces branches-là, dans cette ombre, il n'y avait pas de place pour la mélancolie.
Philippe Jaccottet. Blason vert et blanc.
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Automne, Carton 0.54 x 0.65 2022
Au carrefour
Du ciel et de la terre
Toi l'immobile
Accueilles tous les vents
Lointaines voix
En ta voix solitaire
Berceau bercé
De tant de vagues
Sommeil venu
De tant de larmes
Par delà jours et saisons
Ramures
Jusqu'où résonner
De vives voix ?
Le vent vous défeuille
Qu'importe
À l'abri des racines
Bat votre cœur de terre.
Anne Goyen - Arbres, soyez 2013
Les feuilles éparses dans le chant labouré, dans la terre labourée, en liasses qu'éparpille le vent du sud.
Philippe Jaccottet. La Semaison 1980-1994 - novembre.
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Hiver, Carton 0.54 x 0.65 2022
Au bout de l'hiver
L'arbre sans nom
Nous regarde
Tout hérissé
de bourgeons
Entre ses branches
Le ciel bleuit
Grand poisson lumineux
A demi délivré
De la nasse
L'air s'aiguise
Et luit
Cristal maclé
De l'aube
L'arbre sans nom
Nous regarde
Hérissé de bourgeons.
Anne Goyen - Arbres, soyez 2013
Neige. La neige d'ici, qui vole et ne se pose pas, qui semblerait plutôt monter. Qui rend l'enfance. Heureuse. Pareille aux vols des moucherons en été, qui cèdent au vent. Nuages.
Philippe Jaccottet. La Semaison 1968-1979 - octobre.
Le succès de l'exposition qui a eu lieu dans notre appartement, lors du dernier "Printemps des Arts du XVème", méritait que ma découverte du travail du carton se poursuive au-delà de ce temps fort...
Une histoire de carton. Si vous saviez que le plus dur dans l'affaire, reste à trouver la matière adéquate sur les trottoirs parisiens, qui pourtant n'en manque pas. Il faut voir ce que les gens, les magasins jettent tous les soirs. Si ma recherche est difficile, c'est que je veux que des cartons propres (attention aux chiens)... en double cannelure, non imprimé sur leur face lisse et enfin, d'une taille suffisante ! De plus, cette collecte ne peut se faire les jours de pluie !
Ces paramètres nombreux limitent ma recherche. Heureusement, on finit par trouver... Seulement il faut être réactif, et la traversée de Paris, à pied, (je parle d'expériences, le bus et le métro vous étant interdits), relève souvent de l'impossible avec des feuilles de cartons de plus deux mètres.
Les piétons s'étonnent, s'imaginent que vous souhaitiez vous construire un abri pour la nuit prochaine... proposent même de vous aider... Les intentions ne manquent pas.
L'aventure commence donc dans la rue, mais s'achèvera heureusement sur les cimaises !
Un beau week-end ensoleillé ce samedi 30 et ce dimanche 31 mars !
Les artistes de l'arrondissement étaient à la fête et osaient faire profiter les passants d'une visite de leurs ateliers !
Comme en 2015, nous avions choisi d'ouvrir le nôtre, ou plutôt de transformer l'appartement en "galerie" avec les derniers travaux, belle occasion de ressortir des placards quelques oeuvres qui ont pris l'habitude d'y dormir faute de place sur les murs...
Lors d'une précédente exposition : un oubli récompensé
En septembre 2011, j'avais déjà souhaité participer à cette manifestation annuelle de notre arrondissement, mais mon inscription resta dans la poche d'un appariteur étourdi auquel je l'avais remise.
Pour se faire pardonner, l'adjointe chargée de la Culture me rendit visite en soirée accompagnée de Monsieur le Maire, qui tomba en admiration devant la toile "Variation Dominique 20", peinte quelques années auparavant. (Cette toile est une transcription picturale de la variation 20 des Variations Goldberg de Bach, dont l'écoute vous est proposée ci-dessous.) Il voulait absolument cette toile pour l'escalier d'honneur de la mairie, lui trouvant des vertus apaisantes au sortir de "conseils municipaux houleux"...(sic). En avril 2012, La toile fut hissée dans les hauteurs de l'escalier monumental.
Les aléas de l'administration sont tels qu'il aura, quand même, fallu attendre cinq ans pour qu'un petit cartel soit apposé avec le titre et le nom de l'auteur. La patience aura enfin été récompensée !
Cette toile est accrochée depuis... à côté des sculptures d'Antoine Bourdelle, excusez du peu !... J'espère qu'au fil des ans elle aura rempli son rôle thérapeutique auprès de notre maire et qu'elle lui survivra lors des prochaines élections municipales...
Variations Goldberg 20 - Jean Sébastien Bach Gustav Leonhardt - clavecin
Des rencontres amicales !
Samedi comme dimanche, ce ne fut pas la foule ! Le beau temps permettait pourtant des sorties culturelles et artistiques ! Je pense que les bords de Seine avec leurs arbres en fleurs eurent plus de visites que nos ateliers !
Les rares qui se présentèrent eurent donc droit à une visite commentée et personnalisé et parmi eux, les plus nombreux furent ceux et celles de l'immeuble. (Nous avons la chance de vivre dans une copropriété sympathique où le relationnel est très convivial.) Pour les uns, ce fut une découverte ; pour d'autres, l'envie de voir les nouveautés de l'année, et je crois que personne ne fut déçu à entendre leurs commentaires. Quelques uns se sontmême risqués à l'achat d'une pièce...
Certains d'entre vous m'ont demandé de leur faire une petite visite virtuelle, agrandissons le cercle à ceux et celles de l'au-delà des mers et des campagnes de France, ceux et celles qui ont eu un empêchement de dernière minute ou, tout simplement, que j'ai oublié de prévenir... et pourtant que je n'oublie pas le reste de l'année.
Entre l'entrée, la cuisine et le salon, j'avais donc réuni sur les cimaises plusieurs périodes, parce que les trois dernières oeuvres de ces derniers mois ne suffisaient pas à remplir les murs !
De l'ancien.
On retrouvait six originaux qui me restaient des Variations Dominique, transcription picturale des Variations Goldberg de Bach. Encres de Chine sur Vélin. Les autres ayant été vendues au cours de ces dernières années. (Dont le fameux agrandissement à l'acrylique pour M. le Maire !)
"Les variations", parce que "la variation" est une constante dans mon travail. Comment un seul tableau pourrait-il épuiser toute la veine créatrice, et donc sur ce thème il y avait les fameuses toiles du jardin et de l'arbre.
Ce jardin clos de mur dans lequel on pénètre par une petite porte et cet arbre, qui vous attend au fond (ici en haut) dans sa solitude d'accueil des saisons.
Ces peintures acryliques font plus de deux mètres de haut. Je compense la monumentalité par une largeur étroite afin que le tableau ne prenne pas trop de place, mais toute sa place (!) dans la maison qui l'accueille.
Décliné aussi sous forme de petits dessin d'une trentaine de centimètres de haut, on retrouve ce même jardin dans une série de variations. Le loisir de jouer à l'infini sur la texture du trait, les effets de matière, avec seulement le noir et blanc du crayon gras. Ces travaux ont une vingtaine d'années, mais ils continuent de m'accompagner comme des références parmi les centaines d'esquisses qui finissent généralement à la poubelle...
La période couleur est plus récente, elle date d'une bonne dizaine d'années. Elle a commencé avec les cinquante psaumes illustrés pour les Éditions Socéval (cf. Un autre article de ce blog.)
Elle se prolonge plus récemment avec les maisons rouges. Souvenirs de notre voyage au Danemark en 2010 et des béguinages à Bruges en Belgique. Tous ces dessins, d'assez grande taille, sont réalisés aux crayons de couleur, 'comme dessinent les enfants'. Je mêle une part d'imaginaire à ces souvenirs de campagne et de maisons.
Et du neuf !
Enfin, au nombre de trois, les travaux de ces derniers mois terminés presque à la veille de cette expo, sont les découpages sur carton. Ce sont eux qui ont le plus retenu l'attention des visiteurs, tant par leur taille que leur originalité, mais aussi par le fourmillement des motifs et détails.
La forêt vierge
Le carton est une matière plus complexe que l'on pense et dont on ignore souvent les qualités intrinsèques (son épaisseur, sa solidité, sachant que le recto et le verso ont de textures différentes en raison des cannelures intérieures... ) Impossible à trouver en feuilles en magasin d'art (Graphigro...), je me contente de le récupérer tout simplement sur les trottoirs de Paris au gré de nos promenades et ce, plutôt le soir avant que le service des poubelles ne soit passé.
Le premier, sur le thème de la forêt vierge, puise ses sources dans un travail d'illustrations de poèmes réalisées il y a plus de vingt-cinq ans... C'étaient de petits dessins grands comme des timbres postes à l'Encre de Chine. Je pensais toujours qu'il y avait là matière à faire "autre chose". Je me devais d'aller plus loin.
Alors, pourquoi le carton ? J'avais fait des essais sur carton avec une recherche sur l'écriture cunéiforme que je trouve très intéressante sur le plan graphique, mais ces premières entailles ne m'apportaient pas entière satisfaction. Je retrouvais alors des petits dessins (5 cm x 5 cm), réalisés il y a plus de 25 ans pour l'illustration d'un texte sur la forêt vierge...
J'en choisis donc une dizaine parmi les vingt originaux encore en ma possession et j'essayais de les traiter dans un format unique de 50 cm sur 50 cm. Découpés au scalpel, ma technique s'affinait au fil des jours. Initialement, non prévu pour être réuni, ce n'est qu'après en avoir ouvragé une dizaine que cet ensemble s'imposa comme un tout au regard de l'unité que prenait les motifs. Il restait alors à trouver un équilibre entre les différentes masses, les pleins et les vides, à la rigueur une unité de motifs.
La forêt vierge (en contre-jour), format 1,50 cm x 1,50 cm
Feuillage
Feuillage en cours de découpe et réalisé, format 0,50 cm x 0,50 cm
Le néflier
Nouveau cadre. Le néflier de notre copropriété devient le motif de la dernière création.
Le néflier de la copropriété se découpe en ombre chinoise sur les murs du patio.
Aucun dessin préparatoire. C'est impossible. Juste une vague idée. On verra en cours de route à rétablir la barre si besoin est.
Le néflier (en contre-jour), format 1,20 cm x 1,60 cm
Les feuilles très nervurées de cet arbre se partagent la partie haute. Une végétation extrêmement luxuriante envahit la partie inférieure.
Avancer sans filet dans l'inconnu et dans la découpe sur ces carrés de 40 cm sur 40 cm procure des découvertes étonnantes.
Lorsque l'on s'approche de près on découvre les merveilles de la nature :
détails...
Je ne peux passer sous silence, les petits travaux qui pimentent le quotidien et décorent facilement nos intérieurs...
Bols en papier mâché ou boîte "dodécagonesque" en carton décorée de quelques idéogrammes d'un poème de Lao Tseu...
Abat-jour, en papier mâché sur armature, d'après un modèle d'Annebet Philips, célèbre designer hollandaise...
Ce dimanche s'achevait dans l'atmosphère d'une belle journée de printemps où l'heure d'été nous offrait une heure de clarté supplémentaire. Les deux prochains week-end verront, à leur tour, d'autres artistes du 15ème ouvrir leurs ateliers. En effet, cet arrondissement est si grand qu'il a été décidé qu'il serait partagé en trois pour cette manifestation culturelle.
Je souhaite à toutes et à tous une très belle année 2017, riche en rencontres de toutes sortes.
L'art, la musique, la poésie seront au rendez-vous des partages de cette nouvelle année.
Je vais essayer d'être un peu plus prolixe que l'année dernière. L'entrée dans le temps de la retraite, en février facilitera ces longs moments d'écriture nécessaires pour offrir des textes qui se tiennent.
Donc, mes meilleurs voeux à chacun.
Merci pour votre amitié et votre fidélité et votre lecture.
Jean Pierre Pincemin est décédé jeune à la suite d'un accident pulmonaire. Il n'avait que 61 ans. Quelle trajectoire rapide entre le 7 avril 1944 et le 17 mai 2005. Il n'avait guère d'affection particulière pour l'école, sans doute l'aurait-il préférée buissonnière. Sa formation le conduira vers l'industrie mécanique de précision, il sera tourneur. Comme François Dilasser, mais étant d'origine d'origine parisienne, il "sèche" les cours le vendredi pour s'en aller à la découverte du musée du Louvre qu'il fréquentera assidûment
Au sortir de l'adolescence, il voulait être critique d'art. Mais c'est la rencontre avec le galeriste Jean Fournier (aucune parenté avec moi!), qui avait une petite maison proche de celle de ses parents qui l'encouragea dans l'idée qu'il pouvait devenir peintre. Pincemin est un peintre autodidacte qui se nourrit de toutes les tendances qui fleurissent dans les années 60.
(Voir album Photos en marge du Blog)
Premières expositions à partir de 1968.
De 1968 à 1973, il se lance dans les "carrés collés" : la toile est plongée dans des bains de teinture, découpée et assemblée en figures géométriques irrégulières, carrées ou rectangulaires.
Il cherche et trouve sa voie par de rigoureuses expérimentations, il ne faut pas oublier que c'est le début du minimalisme aux États-Unis, tandis qu'en France ce sont les prémices du groupe Supports-Surfaces auquel il participera à partir de 1971, mais qu'il quittera pour des raisons politiques.
Claude Viallat, Acrylique sur bâche rayée, 2001.
Ce mouvement affirme la réalité physique du tableau, commencée par Matisse avec ses papiers découpés, poursuivie par la nouvelle abstraction aux Etats-Unis, et en France par Simon Hantaï ou Claude Viallat.
Simon Hantaï Tabulas 1972
A la fin des années 1990, Pincemin avait décidé de "tout balayer et tout assimiler", mélangeant de plus en plus les genres, les styles, les supports, les techniques. Il a exécuté des sculptures polychromes à l'aide de morceaux de bois peint,
Il s'était également mis à peindre des sujets religieux, des scènes de genre et des portraits, car il aimait travailler par série pour pousser au plus loin les variations possibles sur un même thème. Il n'hésitait pas à revenir sur des séries après quelques années.
Il a gardé l’esprit d’une ouverture à de nouveaux possibles de la peinture, l’esprit d’invention toujours en alerte. Il était devenu le spécialiste le plus aventureux des techniques dites mixtes. Pour cet artiste électique, la distinction entre figuratif et non figuratif n'avait ni sens, ni importance.
Je ne peux que vous inviter à aller regarder le film (15') de Claude Mossessian dont voici le lien :
Prenez 6 minutes, guère plus, pour regarder ce film sur les Îles sanguinaires que Jacques Burtin a eu la gentillesse de monter. Imaginez-vous en Corse face à ces îles durant une journée de beau soleil...
1. Mettre en PLEIN ECRAN en cliquant sur le symbole des quatre petites flèches en bas à droite de l'écran Vimeo;
2. Le film est en HAUTE DEFINITION. S'il y a des interruptions de son ou d'image, c'est soit que votre ordinateur ne lit pas la haute définition, soit que votre débit Internet est (temporairement ou en permanence) trop faible. Il faut alors ôter l'option "Haute Définition" en cliquant sur les lettres "HD" (à côté des quatre petites flèches). Le film peut alors être vu en définition courante, moins bonne mais acceptable.
Né en 1935, à Rochefort-sur-Mer en Charente -Maritime, Claude Lagoutte est mort en 1990 à Paris. Entre ces deux dates, nous allons à la rencontre d'un artiste voyageur, d'un homme qui aimait marcher, d'un paysagiste infatigable et d'un globe-trotter amoureux de spiritualités.
Il semble autodidacte. Quelques visites au Louvre, lorsqu'il vient voir sa tante Suzanne à Paris, agrémentent ses séjours dans les années 50.
En 1953, il peint des paysages charentais, renonce à des études d'architecte et entre à l'Ecole du Service de Santé de la Marine de Bordeaux. Quatre années d'études lui permettent d'obtenir son diplôme de pharmacien.
En 1958, il découvre les peintres Kandinsky et Klee. Premières peintures abstraites. La même année, il entre à l'Ecole d'Application du Service de Santé des Troupes Coloniales.
Pendant près de vingt ans, jusqu'en 1977, il va ainsi parcourir le monde. En poste dans différents pays aux quatre coins de la planète... Laos, Afrique, Tunisie, Turquie... etc... etc... Il revient de temps en temps à Paris, où il se pose et peint avant de repartir.
En 1969, il achète un "studio-atelier" dans le quartier de Montparnasse à Paris.
En 1970, il se marie à Bordeaux avec Françoise, ils auront trois filles : Marie, Hélène et Louise.
Au cours de ces séjours à l'étranger, il dessine et réalise ses carnets de voyage (véritables trésors d'observation et de maîtrise). Il engrange peu à peu tout "le matériel" qui lui servira pour ses futurs travaux.
En 1976, date importante, il opère dans son travail une rupture radicale et décisive : il délaisse le châssis du tableau pour une technique nouvelle, celle de papiers et de toiles découpées et cousues. L'année suivante, à 42 ans, il est admis à prendre sa retraite, le voilà désormais "libre de vivre à plein temps sa vocation de peintre".
Tantôt seul, tantôt accompagné de Françoise, il continue à voyager, loin : au Népal, au Cachemire, en Turquie, en Inde où il fera plusieurs séjours... ou dans des contrées plus proches : les Pyrénées, la Suisse, l'Angleterre...
Dans les intervalles, il se pose, oserait-on dire, dans son nouvel "atelier-appartement" parisien (Bastille -1979), afin de travailler.Il peint beaucoup, il taille, il découpe et coud des mètres et des mètres de toiles. On est admiratif devant tant de créations. Claude Lagoutte participe à de très nombreuses expositions personnelles et collectives, tant en France qu'à l'étranger.
On sent que les dernières années de sa vie le rapproche d'une certaine quête spirituelle (peut-on le penser ?), elle se concrétisera au contact de religieux catholiques (dominicains, en particulier avec le Père Laval, op.), de bénédictins (Abbaye de Saint Wandrille) ou de moines de confession orthodoxe (Voyage à l'Athos en Grèce en 1988).
La fin approche. Malade, il entre en maison de repos sur le plateau d'Assy et meurt quelque temps après, le 18 juillet 1990, à l'hôpital Saint-Antoine à Paris, à l'âge de 55 ans.
Pourquoi j'aime particulièrement le travail de Claude Lagoutte ?
J'ai eu l'occasion de rencontrer le travail de Claude Lagoutte tout à fait fortuitement, il y a cinq ans environ, lors d'une visite de la chapelle du couvent Saint-Jacques des Dominicains de la rue des Tanneries dans le XIIIe arrondissement de Paris. Vers la fin de sa vie, par amitié et en particulier celle qu'il vouait au Père Jacques Laval, Claude Lagoutte avait offert un devant d'autel (réalisé en 1986) que les religieux ont placé dans une chapelle latérale. Les tons, la matière, la texture, l'écriture, tout était réuni pour faire de ce travail un véritable choc pictural et émotionnel.
Je voulais en savoir plus. N'ayant jamais entendu parler de cet artiste auparavant...
De fil en aiguille et c'est le cas de le dire avec le travail de Claude Lagoutte, j'ai commencé à chercher sur internet. Les informations étaient particulièrement intéressantes. Mais je voulais passer du virtuel à des éléments plus concrets. J'ai donc acheté quelques livres et recueilli certains articles qui avaient été écrits sur lui, puis acquis les livres qu'il avait lui-même écrits sur ses récits de voyage.
Celui qui m'a donné le plus d'informations est sans conteste le magnifique catalogue qui a été édité lors de l'exposition à Bordeaux en 2008. J'ai malheureusement manqué cette exposition pour laquelle j'aurais sans aucun doute fait le voyage.
En 2013, une autre exposition sur Claude Lagoutte a lieu à la Galerie Convergences/ Galerie Intuiti dans le IVe arrondissement à Paris. Là encore, je me suis réveillé un peu tard... Par chance, j'appelle cette galerie qui accepte un rendez-vous dans la semaine qui suit, puisque certaines œuvres étaient encore accrochées aux cimaises de la galerie. Il est toujours difficile de rendre compte d'une émotion que l'on a, lorsque l'on est en contact direct avec le tableau. On regarde et on se laisse imprégner par ce que l'on voit. Tout simplement. Nous avons été admirablement accueillis à tel point que, devant notre intérêt, le propriétaire de la galerie n'a pas hésité à nous emmener dans ses réserves et a ouvert un certain nombre de caisses dans lesquelles les œuvres étaient déjà entreposées pour un prochain voyage. Souvenir inoubliable. Il y a des moments de grâce dans la vie...
Il y a deux mois, j'ai évoqué le travail de Julius Bissier. Cette peinture minutieuse, attentive, faite de transparence et d'un raffinement extrême. On retrouve chez Claude Lagoutte les mêmes qualités. Autre point commun : les toiles de Bissier avaient cette particularité d'être peintes à plat sur sa table, c'est à dire sans châssis et hors du chevalet. Ici, avec Claude Lagoutte, on va encore plus loin puisque la toile elle-même est découpée, puis recousue. A ce stade, on est proche de ces artistes du mouvement Supports/Surfaces. qui ont délaissé le châssis. Ils prennent à bras le corps la toile... (On en reparlera avec Pincemin le mois prochain.)
Il y a aussi, je trouve, dans le travail de Claude Lagoutte une certaine spiritualité. Cette spiritualité ne l'écarte pas bien sûr d'une prise réelle sur la réalité. Elle ne désincarne pas son travail, bien au contraire. Je ne pense pas d'ailleurs que chez lui il mettait Dieu au centre. Vers la fin de sa vie, il aura une autre relation avec Lui. Ne lit-on pas dans un de ses écrits : « La perfection géométrique était le chemin de Dieu. Dans notre civilisation, la géométrie n'est plus l'image de Dieu. Est-ce le geste ? ». Claude Lagoutte, lui, participe à ce geste. Il est dans le geste qui fabrique sa toile.
Autres œuvres : Comment ne pas être sensible à ces immenses rouleaux peints, travaillés jusque dans leurs fibres, cousus avec une patience infinie qui se déroulent sur des mètres et des mètres, qui finissent par ressembler aux manuscrits que les moines transportaient de monastères en abbayes et qui au fur et à mesure du voyage s'allongeaient suite aux informations ou aux recommandations que l'on ajoutaient. Ils cousaient les peaux les unes après les autres...
Enfin, quel dessinateur ! Il n'avait pas besoin d'emporter un appareil de photos pour mitrailler à outrance ce qu'il voyait. De ses nombreux voyages il a rapporté des carnets de croquis qui sont absolument sublimes. Quel invitation à faire de même.
Sa peinture est une écriture et c'est certainement cela, qui inconsciemment me marque le plus. « L'art est une relation flottante entre le signe et le sens. » « Dessiner l'écrit et écrire le dessin ». Ce sont chez lui des idées fortes qu'il a mises en action toute sa vie.
C'est en 1926, à Lesneven en Bretagne, que naît François Dilasser. Comme le père de Jean Dubuffet, le père de François travaille aussi dans le milieu du négoce de vin.
Jusqu'à l'âge de quarante ans, il exercera différentes professions... Mais il n'oublie pas que dès son plus jeune âge le dessin, l'attrait des couleurs sont pour lui comme une seconde nature. Il aimait recopier des illustrations qu'elles soient de l'Écriture Sainte ou des images de tableaux de peintres célèbres. Quelques cours auprès d'un peintre local, mais sans suite...
Il faut bien faire vivre la petite famille. Mais pour lui, peindre ou dessiner n'est pas un loisir, mais une quête personnelle profonde qui l'occupait tous ses temps libres. François Dilasser est un autodidacte, et c'est dans ces heures arrachées au travail professionnel qu'il progresse et cherche son chemin... La peinture est en quelque sorte un refuge et l'aide à surmonter de douloureuses épreuves comme le décès de sa première épouse.
En 1943, il découvre une reproduction du Cheval blanc de Gauguin. Coup de foudre pour les couleurs, la mise en page... Un vraie révélation...
Le cheval Blanc - Gauguin
En 1958, nouvelle révélation avec la peinture de Bissière (1886-1964). Une sincère et discrète amitié s'établira au fil des années. Il abandonne les pinceaux quelque temps pour un travail de toiles qu'il découpe directement dans la couleur, puis les assemble. Souvenir de Matisse. Il voue une réelle admiration pour l'École de Paris, Manessier, Le Moal, Tal Coat... Il se cherche et le retour aux pinceaux ne tarde pas.
Bissière - Nocturne
En 1966, il sent qu'un changement radical de vie doit s'effectuer. Ses heures à l'atelier se feront de plus en plus nombreuses. La peinture s'impose à lui et il n'y aura, dès lors, plus de retour en arrière sinon ce seul sentiment :
« J’ai parfois le sentiment qu’en peignant je cherche à retrouver ma propre naissance, à retrouver l’origine ».1
Les pélerins - 1990
François Dilasser travaille par cycles, par séries. Cent fois, il remet en chantier ce qu'il a peint la veille. Les photos des murs de l'atelier en sont le témoignage. Il y aura ainsi les jardins, les veilleurs (1991), les mains (au cours de l'été 1997), les têtes (1998 reprises des années 1971), les arbres (1999, série déjà apparue en 1993), les comètes...
De nombreuses expositions jalonnent ces années. Elles ont surtout eu lieu à Paris et en Bretagne.
« Je me peins moi-même, c’est ce qui me fait vivre »
Comme on peut le voir, il est des peintres dont la biographie ne se laisse tracer que par quelques dates qui jalonnent une vie modeste mais, ô combien, attachante. Celle de François Dilasser appartient à celles-ci.
Sans Titre - Déc. 1986
Les éditions Le Temps qu'il fait ont publié quelques livres illustrés par François Dilasser, dialogue texte/images avec des amis, comme Jean Pierre Abraham (Lettre à François Dilasser) ou Paul Louis Rossi (Inscapes). D'autres, plus intimes, avec Antoinette Dilasser : D. et Journal hors temps. Entre autres...
François Dilasser s'est éteint en 2012, après une longue maladie. La Passe, journal écrit par Antoinette Dilasser évoque admirablement les dernières mois vécus auprès de son mari.
Ouvrages sur François Dilasser :
DILASSER. René le Bihan Éditions Palantines. 210 pages.
DILASSER. Jean-Marc Huitorel. L' État des Lieux / Galerie Clivages. 86 pages