Le langage des mains dans les tapisseries de La Chaise-Dieu.
La visite des tapisseries, récemment restaurées, à l'abbatiale de La Chaise-Dieu, que nous avons faite en juillet dernier fut pour moi une révélation ! En effet, j'ai été fasciné par le travail de ces artistes tapissiers restaurateurs. Nous pouvions enfin admirer ces nombreux personnages bibliques et leurs histoires, redécouverts en quelque sorte, grâce à la nouvelle présentation de la tenture.
Après les avoir attentivement regardés, je trouvais un thème remarquable à approfondir : leurs mains, les mains de ces personnages. Ces mains semblaient me parler, comme dans la langue des signes. Si le texte en latin inscrit dans les phylactères renvoyait aux scènes de l'Ancien et du Nouveau Testament qui se déroulent sous nos yeux, pourquoi ne pas lire un autre texte, sous une forme plus symbolique, qui s'inscrirait dans les gestes et les mains de ces personnages.
Sans prétention, quelques réflexions me sont venues devant la beauté de ces gestes simples qui parlaient déjà aux moines du XVIe siècle, ainsi, par cette remarquable restauration, cette méditation biblique continue de traverser les siècles.
Une histoire personnelle...
En premier lieu, qu'il me soit permis, d'ouvrir une parenthèse personnelle.
Je voue, depuis fort longtemps, presque soixante ans, une profonde admiration pour la Chaise-Dieu, ses vieilles maisons et surtout son abbatiale, dont les pierres qui semblent au premier abord froides, austères et massives dégagent une atmosphère spirituelle si particulière. Les tapisseries entrent dans le jeu de cette beauté. En effet, j'ai connu ces tapisseries dès mon enfance, puisque l'abbatiale était un lieu de promenade pendant nos vacances en famille à Saint-Bonnet-le-Bourg, village situé à une quinzaine de kilomètres.
Ces tapisseries, tendues ou plutôt pendues au-dessus des stalles, ne se laissaient pas lire facilement, elles nous apparaissaient très pâles et assez distantes. (L'histoire sainte qu'elles racontaient me dépassait à l'époque, un peu, je l'avoue...) Nous savions que c'était un trésor, et leur situation dans le chœur clos du jubé les rendait à la fois plus vénérables et vulnérables aux affres du temps, car elles méritaient mieux que cette vision lointaine et peu lisible. En revenant le 20 juillet 2023, je verrai que mes vœux de rénovation ont été exaucés.
Qu'il me soit permis, auparavant, de rappeler deux souvenirs d'adolescence qui ont marqué mon attachement à cette abbaye.
Le premier : Son orgue...
En effet, au dessus du porche d'entrée, l'abbatiale de La Chaise-Dieu offre aux visiteurs, mais surtout aux auditeurs, son grand orgue que j'ai eu l'opportunité de jouer en juillet 1970 entre deux restaurations. La découverte de cette belle facture française d'orgue du Grand-Siècle atteint son apogée ici ! Je ne jouais pas très bien, peut-être intimidé par la grandeur de l'instrument. Reste que les belles sonorités du grand plein-jeu de François Couperin que je jouais, toutes voiles dehors, me resteront à jamais gravé dans la mémoire.
François Couperin. Plein-jeu de la Messe des Couvents - J.-P. Brosse.
Second souvenir : Le "Fretat".
Enfin, comment pourrais-je oublier la sculpture de cette fameuse statue d'un abbé commendataire, « l'Abbé de Frétat » qui me fut commandée, en 1970, la même année donc, par une « noble » dame qui habitait une des plus vieilles maisons, appelée "La Clauze" au bas du village. Je transformerai en huit jours une bille de poirier, d'une quarantaine de centimètres, trouvée chez mes grands-parents en un abbé de cour, mitré et crossé, ornée du blason de sa famille et de sa maison ! Elle fut tout heureuse de son acquisition et me félicita pour mon travail. Je ne sais malheureusement ce qu'est devenue cette statue aujourd'hui.
Cette grande maison forte, sise dans les remparts, qui accueillait la statue a été magnifiquement restaurée, après être tombée dans le plus total abandon pendant des années comme une Belle au bois dormant qui attendait son prince charmant...
Ma proximité de cœur avec la Chaise-Dieu ne date donc pas d'hier, les années passent ! Quelle joie aussi depuis vingt ans de pouvoir revenir quelques heures chaque été humer l'air frais de cette colline, de s'y promener tantôt sous le soleil, tantôt dans le brouillard, de s'immerger dans le silence du cloître et d'admirer la « danse macabre » toujours aussi macabre pour ces notables représentés ! Temps bienheureux.
Mais revenons à l'essentiel, l'essentiel qui de déploie sous nos yeux !
Une tapisserie à découvrir, une source de méditation.
Cette année, pour la première fois, les tapisseries ressuscitaient sous nos regards admiratifs. Pas moins de quatre années (2012-2016) d'un travail extraordinaire, minutieux et savant furent nécessaires pour qu'elles retrouvent aujourd'hui la beauté de leurs cinq cents ans. Des milliers d'heures de travail pour les nettoyer, les consolider et leur créer un véritable écrin.
Je renvoie à deux livres pour saisir avec plus de détails, le magnifique travail accompli par les services de la restauration et de la conservation :
1) Les tapisseries de La Chaise-Dieu de M.-B. Potte, X. Brousse et M. Bongrand aux éditions à Hauteur d'Homme 2021
2) La tenture du chœur de La Chaise-Dieu de C. Prieto-Hugot et Sœur Constance aux éditions du Signe 2021
La présentation actuelle dans la chapelle restaurée est idéale pour offrir la meilleure lecture possible de ces quatorze tapisseries.
Le premier sentiment qui fut le mien a été celui d'un étonnement, un immense étonnement, comme je le disais plus haut. En effet, sous nos yeux se déroule une histoire sainte, avec ses personnages dont beaucoup sont reconnaissables au premier coup d'œil : Adam et Ève, le Christ, les apôtres, on ne peut les citer tous. Il en est de même pour les scènes bibliques : Le jardin d'Eden, les nombreuses étapes de la vie de Jésus...
Mais la représentation imagée est beaucoup plus complexe, ici, sont mis en relation des récits de l'Ancien et du Nouveau Testament et ce, dans la perspective de raconter l'histoire du Salut.
Les récits de l'Ancien Testament, surtout, dont certains ne sont guère connus de tous les visiteurs ! On peut alors se demander quelles érudition et connaissance biblique ces artistes du Moyen-Âge pouvaient-ils avoir pour mettre si judicieusement en correspondance tous ces textes ?
Je me suis interrogé, au cours de ma visite, pour savoir si les dessinateurs des cartons étaient eux-mêmes biblistes, ou s'ils s'étaient faits aider par des religieux qui connaissaient parfaitement la Bible ? En fait, et beaucoup plus simplement, en lisant livres cités ci-dessus, j'ai découvert qu'ils avaient puisé leur inspiration dans un livre qui s'appelait la Biblia Pauperum, la Bible des pauvres. Le nom le plus exact est, en fait, Concordantia historiarum (la concordance des histoires entre l'AT et le NT.). On peut aussi parler de lecture "typologique" des textes (la mise en relation des deux testaments).
La planche gravée du triptyque de l'Annonciation, ci-dessus, extrait de la Biblia Pauperum, permet de comprendre le substrat du travail des cartonniers de la tapisserie de la Chaise-Dieu. Dieu promet un sauveur à Adam et Ève à gauche, Dieu donne le signe de la toison à Gédéon à droite et au centre l'épisode de l'annonce à Marie par l'archange Gabriel.
(Ève et Marie ont le même visage et la même chevelure- Marie apparaît alors comme la nouvelle Ève)
C'est la force et l'intelligence de l'exégèse médiévale que de montrer l'unité qui existe entre les deux testaments. Faire ces "lectures" permet de découvrir "l'étincelle" (le sens) qui jaillit entre les deux silex frappés (les deux testaments), si l'on veut prendre une image.
Il s'agit donc d'une sorte d'Histoire Sainte très approfondie qui circulait dans le monde germanique au XVIe sous forme de planches de bois gravé, parfois colorées, dont ils avaient connaissance. Il pouvait y avoir deux niveaux de lectures : Pour les gens du peuple, une simple lecture des planches historiées (le vitrail offrait, lui aussi, sa lecture dans l'expression d'un autre art), quant aux plus lettrés, ils pouvaient faire une lecture approfondie avec le texte latin de tous les phylactères.
Dans le cadre de la Chaise-Dieu, les tapisseries étant accrochées dans le chœur, où seuls les moines pouvaient pénétrer. Elles étaient disposées à cet endroit pour leur édification personnelle et communautaire.
Voici deux exemples de transcription entre l'image de la Biblia Pauperum et la tapisserie de la Chaise-Dieu, imagée pour le temps de Pâques :
Samson arrache les portes de la ville de Gaza pour s'enfuir. Cette image est mise en relation avec la résurrection du Christ qui sort du tombeau, s'arrachant aux portes de la mort.
Ce sont donc ces bois gravés qui ont servi de modèle « de base » aux dessinateurs des cartons de ces tapisseries. Vient alors pour eux, le travail prodigieux de re-création de nouveaux dessins, comme on le voit ci-dessus, une ré-interprétation visuelle que seuls savent réaliser les grands artistes, et ici des artistes anonymes !
Bien que théologien de formation et familier de la Bible, je me trouvais, cet après-midi-là, face à une iconographie typologique qui nourrissait, avec joie, ma méditation tant sur le plan visuel que spirituel. En effet, d'abord destinées à la méditation des moines de l'abbaye au XVIe siècle, je me suis retrouvé au XXIe comme l'un d'entre eux devant ces 14 immenses tapisseries.
Après un premier tour de salle, au cours duquel je faisais une lecture assez rapide de chacune d'entre elles, aidé d'un audioguide fort utile, je trouvais indispensable de refaire un second parcours, afin de porter mon attention sur les détails : un regard, un château, un habit, un ciboire, me laissant saisir par la beauté des fonds, de la faune et de la flore, mais aussi admirer la magnificence des vêtements et des armures.
Mais une chose retint particulièrement mon attention : Les mains. Oui, au milieu de tous ces détails, il y avait les mains, des mains, nombreuses et expressives, des « mains parlantes » comme on les appelait à l'époque, au langage bien connu de nos moines du XVIe siècle, puisque représentatives de leur quotidien.
Ces mains, que nous disent-elles ?
Ce langage des mains a été étudié en ce qui concerne le monde occidental du Moyen-Âge et dans l'iconographie religieuse en particulier.
Les auteurs d'articles et de livres à ce sujet ne manquent pas. Je m'appuierai donc modestement sur leur travail pour cheminer dans cette découverte de la "geste" reprenant en guise d'introduction, quelques mots de J. Le Goff* : « Le corps fournit à la société médiévale ses principaux moyens d'expression... La civilisation médiévale est une civilisation du geste. »
Des mains portent des objets en vue d'une offrande.
Deux tapisseries ont pour sujet cette thématique. La première -Tapisserie 1- avec la scène des rois Mages au centre encadrée à gauche par l'offrande de l'eau de Bethléem à David (Sam.23) et à droite par celle de la reine de Saba offrant des trésors à Salomon (Rois. 10).
La seconde, vers la fin du cycle -Tapisserie 10-, illustre au centre la venue des femmes au tombeau, suivie de celle de Marie-Madeleine au jardin...
Découvrons les détails...
Ici, une coupe fermée, une corne précieuse, une aiguière ou un ciboire sont présentés à un personnage. La main de celui qui offre tient en équilibre l'objet, tandis que le récipiendaire s'apprête à soulever le couvercle. On peut aussi admirer la magnificence des objets. Rien ne semble trop beau.
La Reine de Saba offre au Roi Salomon des présents, elle, qui est venu éprouver sa sagesse. (Rois 10,1)
Ici, trois hommes forts viennent offrir de l'eau de Bethléem au Roi David. (Samuel 23,16)
Un des Rois Mages présente à Jésus-Enfant une coupe d'or et fait acte d'adoration en prenant le pied de l'Enfant pour l'embrasser avec beaucoup de délicatesse. L'enfant saisit entre ses doigts le cadeau offert.
Un deuxième Roi Mage porte avec une grande attention une corne sertie de joyaux contenant la myrrhe. (Mt. 2)
On retrouve une autre scène d'offrande identique lorsque les femmes pleurent devant le tombeau vide (Mt.28)
Marie-Madeleine, Jeanne et Marie Salomé portent les aromates pour embaumer le corps du Christ, mais les anges leur annoncent que le Christ est ressuscité. Une main porte délicatement la coupe entre deux doigts tandis que l'autre main est occupée, soit pour retenir un vêtement, soit en geste d'offrande.
On notera aussi la position des mains des anges assis au bord du tombeau : la gauche montre le tombeau vide, tandis que la droite semble dire : "Celui que vous cherchez est ailleurs". Nos yeux suivent les index du bas vers le haut.
Entre les mains de Marie-Madeleine (Jn, 20) La coupe est enfin ouverte. Les aromates peuvent être offertes puisque Jésus se laisse reconnaître à ses yeux. Le Christ lui touche le front avec un geste de bénédiction, mais pas seulement, on peut aussi voir dans ce geste singulier, que le Christ souhaite mettre une distance entre elle et Lui, ne pas être touché (Noli me tangere). Le geste précède la parole. Et enfin, pourquoi pas, comme un geste d'envoi : "Va rejoindre mes frères et dis-leur que je monte vers le Père".
Les mains dans un geste d'échange.
"La manifestation de la divinité du Christ", thème de la troisième tapisserie illustre trois scènes centrées sur le don que se font les personnages entre eux.
La première. Adam et Ève avec le fruit défendu. De sa main gauche, Adam demande à Ève si le fruit est pour lui, tandis que de la droite il s'apprête à le saisir.
La deuxième. Il s'agit de la première tentation de Jésus au désert. Le diable propose à Jésus qui a jeuné pendant quarante jours que la pierre proposée entre ses doigts griffus soit changée en pain.
Jésus indique que c'est la première tentation en mettant son index droit sur son pouce gauche.
Dans ces trois scènes, on voit que la tentation est au cœur de l'action mais que seul le Christ, dans son panneau central, sait résister. C'est tout le jeu de la typologie que d'éclairer le Nouveau par l'Ancien et l'accomplissement qui en résulte.
La troisième. Jacob vend son droit d'aînesse pour un plat de lentilles, et de sa main gauche, il montre à son frère le plat qu'il lui propose.
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Des mains au service de gestes apparemment familiers...
Contentons-nous de regarder.
Décrite avec une précision étonnante, l'activité des ciseaux sur l'ambassadeur envoyé par David s'attache à humilier le pauvre homme.
Vêtement raccourci, cheveux coupés. Habileté du ciseau de tailleur d'un côté et agilité du ciseau du coiffeur de l'autre.
Les deux mains jointes sur sa poitrine, l'ambassadeur reste stoïque. Cette scène d'humiliation (2 Sam. 10) se trouve dans le triptyque du Couronnement d'épines.
Dans la tapisserie 1 ou le triptyque de la Nativité. Dans la scène du buisson ardent, Moïse se déchausse en un geste que nous faisons quotidiennement:
À cette époque où l'électricité n'existait pas... Tenir une bougie allumée demande de protéger la flamme. Nous avons cette représentation dans deux scènes différentes.
Avec quelle délicatesse, Joseph protège la flamme de la bougie qui éclaire la crèche !
Lors du dernier repas, les apôtres préparent leur couteaux...
...En vérifiant le fil de la lame... ou en essuyant celle-ci...
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Des mains musiciennes.
Dans la tapisserie 3, "L'entrée triomphale du Christ à Jérusalem, le cartonnier a mis en relation cette entrée de Jésus avec les réjouissances que manifestent les Hébreux (1 Sam 18,6) lorsque David a tué Goliath. Nous assistons ainsi au concert que donnent les filles de Jérusalem autour de la tête coupée de Goliath.
En musicien attentif... je trouve que la position des doigts est excellente avec ce jeu du pouce et d'index qui virevoltent sur cette jolie petite harpe.
Et combien doit être mélodieux ce jeu du plectre sur les cordes du luth, tandis que les doigts de la main droite de l'organiste arpègent agilement quelques croches sur un petit positif. (La gauche invisible, ici, sert à activer le soufflet en cuir qui envoie de l'air dans les tuyaux.)
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Quand les doigts des mains servent à compter...
Plusieurs scènes sont particulièrement intéressantes sur ce thème. L'agitation des mains des personnages tient alors un véritable discours ou participe activement à l'action représentée.
Ainsi dans la scène du Repas pascal. Les apôtres réunis autour de Jésus se demandent quel est celui qui va trahir le Maître, après qu'Il leur eût dit : "L'un d'entre vous va me livrer."
D'une scène qui aurait pu être particulièrement statique - Les Douze assis autour de Jésus - le cartonnier, par une habile composition, affolent les convives. Les mains comptent et recomptent en se disant :"Si nous sommes douze, le traître est-il parmi nous, n'en manquerait-il pas un ?"
Même Judas, en faux-jeton, fait semblant de compter. On le reconnaît à la bourse attachée à son cou, (pensons à la corde avec laquelle, plus tard, il se pendra) et que nous sommes seuls à voir.
Un des disciples n'hésite pas à montrer à ses deux voisins que le traître est au milieu d'eux par un index pointé sur lui.
Jésus, en figure centrale, loin de cette agitation qui l'entoure, "stabilise" la scène. De sa main gauche, il porte et présente le pain-hostie tandis que du majeur et de l'index de la droite, il bénit son offrande.
Dans une autre scène, Daniel est injustement condamné par Cyrus, parce qu'il dénonce le mode vie du roi de Babylone (Dan. 14). Les index des mains des hommes sont pointés vers le roi qui, lui, ouvre ses mains pour livrer Daniel.
Représenté par un enfant, Daniel veut montrer qu'il est encore petit et fragile, comme souhaiterait le prouver l'écart qu'il dessine entre le pouce et le majeur de sa main gauche.
Dans la quatrième tapisserie sur l'Entrée dans la Passion, Joseph enfant est représenté exactement comme Daniel. On retrouve le même geste de petitesse symbolisé par l'écart entre les doigts.
Relevons encore dans la onzième tapisserie sur "les mystères de la Gloire", la scène où Dieu donne sa Loi à Moïse. Trois hommes, représentatifs du peuple en attente, sont sous une tente.
Les mains virevoltent et semblent compter les jours depuis le départ de Moïse vers les sommets du Sinaï.
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Les doigts servent à compter l'argent...
Dans la quatrième tapisserie sur "l'Entrée dans la Passion", l'argent est au cœur des trois épisodes bibliques. On compte "sur" ses doigts et "avec" ses doigts... Le jeu entre les différents protagonistes se fait autant par les mains que par l'échange des regards.
Lorsque Joseph est vendu par ses frères à des dignitaires de pharaon, la main droite des frères indique à qui doit être donné l'argent. Le dignitaire indique le chiffre deux et recevra donc deux pièces en échange de Joseph.
Dans l'épisode où le secret de Samson est vendu à deux satrapes philistins par Dalila, la somme qui lui est proposée est de onze cents sicles d'argent (Jug. 16)
Le satrape au chapeau rouge montre la bourse où se trouve la somme promise, tandis que celui au chapeau bleu tape sur l'épaule de Dalila en lui proposant de doubler la somme. En signe d'acquiescement Dalila se touche le pouce de la main gauche et l'index de la main droite.
Dernière scène et scène centrale de cette tapisserie : Judas vient chercher la somme des trente deniers pour trahir Jésus.
Pendant que l'un des grands prêtres dépose les pièces dans la main de Judas, l'autre montre la somme offerte sur ses doigts : Trois doigts pour trente et accord tacite exprimé par le lien entre le pouce et l'index.
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Des mains en prière
Nombreuses sont les scènes où les mains jointes témoignent soit d'un geste d'imploration (Élie), de supplication (Gédéon), de révérence(femmes au tombeau) ou de remerciement(libération des âmes des enfers).
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Des mains au chœur d'un dilemme !
Dans le 1er livre des Rois au ch. 3, voici un récit bien illustré. Deux mères se présentent devant le roi Salomon afin de demander justice car l'enfant de l'une des deux a été malencontreusement étouffé par l'autre. Mais laquelle ?
C'est là qu'intervient le jugement de Salomon qui donnera raison à l'une des deux.
Salomon réagit en deux temps. Le premier, puisqu'elle ne sont pas d'accord : Tuons l'enfant! La femme au chapeau, en posant son index droit sur son pouce gauche donne son accord pour cette proposition.
Ne voulant pas que l'enfant soit tué, la seconde, mains croisées sur la poitrine, accepte avec résignation la sentence.
Salomon sait alors à quoi s'en tenir ! Son jugement sera sans repentir : Il pointe de son index la femme à qui l'on doit remettre l'enfant, qui est en fait vraiment le sien !
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Une chorégraphie de doigts
Deux scènes présentent des similitudes - même disposition des apôtres et une gestuelle identique - Il s'agit de l'Ascension de Jésus et de la descente de l'Esprit Saint à la Pentecôte.
Bien qu'ils semblent silencieux, les apôtres par cette chorégraphie gestuelle expriment d'une certaine manière leurs sentiments profonds. Entre prière et acquiescement, ils témoignent de cette émotion, et peut être de cette peur, qui palpitent en eux à l'image de leur doigts !
Détails de ces deux scènes.
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Ils sont près de quatre-vingt, quatre-vingt prophètes qui apparaissent généralement à une petite fenêtre gothique avec à la main un phylactère où est inscrit une petite péricope biblique. Leurs visages apparaissent ainsi ponctuellement à chaque scène expliquant d'un verset de psaume ou d'une péricope prophétique ("les dits des prophètes") ce qui se passe au dessus ou en dessous de l'endroit où ils se trouvent. Tous ces textes sont orientés vers une histoire du Salut.
Le prophète Isaïe, détail de l'Annonciation.
Le prophète Osée, détail de la Fuite en Egypte.
Le Roi David, détail de la Nativité.
À présent, il nous faut conclure, bien que d'autres pistes seraient particulièrement intéressantes à explorer.
L'abbé Jacques de Saint-Nectaire (abbatiat : 1491-1518) fut un abbé fervent et mécène. Il souhaitait que ces moines aient sous leurs yeux une tenture qui puisse les édifier. Si le chœur monastique est le lieu où la Parole de Dieu est proclamée et psalmodiée, avec ces tapisseries placées au-dessus des stalles des moines, la Parole devenait alors "images" pour leur méditation. Cet abbé avait une fortune personnelle conséquente, (rappelons que c'était une des familles les plus importantes d'Auvergne), ce qui lui a permis de mener à son terme la campagne de réalisation de ces quatorze tapisseries, mais aussi l'agrandissement des bâtiments de l'abbaye. Elles furent accrochées en 1518 le jour de la fête de Saint Robert.
Toutes les photos : Dominique Fournier
*Jacques Le Goff, La civilisation de l'Occident médiéval, Champs histoire, Flammarion,2008, page 239
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Voici 3 liens pour aller plus loin...
https://merveillescachees.com/france/les-tapisseries-de-la-chaise-dieu-un-tresor-du-xvie-siecle/
https://www.abbaye-chaise-dieu.com/visites/les-tapisseries-de-choeur/
Commentaires
Magnifique étude, Dominique ! Elle donne envie d'aller voir ces chefs d'eouvre, que je ne connais malheureusement pas encore. Un grand merci !
Quelle magnifique exploration de ces tapisseries, Dominique! il faut en faire un livret qui pourrait être vendu à la boutique de l'Abbaye - tes commentaires personnels sortent de la banalité des livrets historiques...
Magnifique explication d'une détail souvent sans cette sort d'attention. Vous nous guidez vers les mains avec leurs significations complex: divines et humaines au même temps. Merci, Dominique, pour partageant vos impressions si illuminants. -NMH