Mars 2021.
Voici presque un an que je ne suis pas retourné au jardin de Luxembourg. Seul ou avec Françoise. Le confinement est en grande partie responsable de cet éloignement, mais ce n'est pas un oubli...
Il m'aura fallu laisser passer cinq bonnes années avant d'oser glisser dans ce blog ces textes poétiques, écrits au cours des mois où je pique-niquais dans le jardin. Les relire et les choisir comble le manque de promenade et ravive le souvenir bien présent de leur écriture.
Oui, d'une certaine manière, je retrouve "mon" jardin en vous offrant cette vingtaine de textes parmi la centaine qui compose ce recueil.
J'avais proposé à une grande maison d'édition le manuscrit titré "Jardin et autres mondes" avec l'espérance (mais fallait-il vraiment y croire, naïf que je suis...) de les voir éditer.
Le manuscrit fut refusé sans autre réponse. Il y a un siècle, la même maison d'édition n'avait-elle pas refusé "la Recherche du temps perdu" de Marcel Proust ...!
Foin de la prétention, soufflons sur les mots pour rallumer les braises !
.............................
Préface au manuscrit :
"Pour toutes ces raisons je t'aime, ô Luxembourg !
Car ma jeunesse, hélas ! depuis longtemps passée,
Sur ton sable a semé son cœur et sa pensée,
Et mes premiers baisers comme mes premiers vers
Ont pris leur libre essor sous tes vieux arbres verts."
François Coppée, Au jardin du Luxembourg
Presque chaque jour, pendant ces quinze dernières années, qu'il pleuve ou qu'il vente, qu'il neige ou qu'il fasse beau, entre midi et treize heures, j'ai aimé retrouver au jardin du Luxembourg ces chaises vertes, un peu dures, je l'avoue, pour m'y asseoir, déjeuner, lire ou écouter de la musique... mais aussi pour écrire.
Ces textes sont nés de ces moments privilégiés.
Chacune de ces strophes est une histoire ; peut-être pourra-t-on lire ou découvrir la page déchirée d'un journal intime, un moment vécu, une parcelle de mémoire, un regard sur l'avancée des saisons. Ce sont ainsi plus d'une centaine de strophes écrites en l'espace de quelques mois, au cours des années 2015 et 2016, qui sont ici rassemblées.
D.F.
Pourquoi À la recherche des mots qui se bousculent
C'est l'improbable auquel on voudrait croire
Dans l'espérance d'avoir tant de choses à se dire
Las de cette répétition du quotidien je retiens mon souffle
Comme il est heureux d'être seul en cette heure de repos.
Je rêve de tapis volants aux couleurs de feuilles rousses
De planches de fakir hérissées de bogues de marrons
Je rêve d'oranges bleues sur des citronniers verts
Quand s'envolent les perruches et autres oiseaux des îles
Égarés sur les branches nues de ce platane.
J'ai vu la neige tomber et tomber encore la neige sur la terre
Et sur le toit et sur la ville blanche qui s'endort déjà
J'ai vu la neige tomber et tomber encore la neige sur ma main
Et sur la mélodie feutrée des instants Je marche
Mon empreinte Un sceau sur le silence Ô quel rêve.
La branche brisée s'épanche encore d'une sève d'encre
Pour rappeler que dans l'ombre sont tapies des chimères
Un rai de lumière drue tente en vain de percer
Le gribouillage enchevêtré des moignons taillés à la serpe
Tel l'éclair À la rose du vitrail offerte en plein ciel.
Quelle pelletée de mémoire ai-je chargée aujourd'hui
Des aventures silencieuses et délaissées Mais aussi
Des délices d'une transparence Heureusement
Il y a la liberté du chemin que l'on foule
Naturellement renouvelé par-delà les blessures.
Ma page est d'une inquiétante tranquillité
Entre le rien et le mot Le fil ténu d'une écriture
Regarde ce jardinier heureux sur son étroite planche
Entre deux fleurs jongle un funambule
Le vide qu'il plante et qu'il arrose le tient en équilibre.
Un théâtre de verdure sur cet horizon flottant
Une journée neuve où la brume coupée au couteau
Dessine un rideau de scène Il faudra choisir
Se laisser prendre par la lumière et jouer avec le feu
Ou pour un instant être spectateur solitaire...
Ce midi je suis venu avec l'automne
Et de mon escarcelle j'ai ensemencé les allées
Le pied des marronniers Les coins d'ombre les plus perdus
Comme une sève de couleur incandescente
Sous les charmilles et par-dessus les bancs.
Une toile verte couvre le sommet des grands pavois
On se croit fier de porter très haut l'aventure écrite
Mais devant tant de sagesse il vaudrait mieux se taire
D'arbre en arbre De feuille en feuille Mon regard
Plongé dans une certaine errance dévisage l'invisible.
Oh ! Il pleut des étoiles En plein midi
Ma timidité croise celle de l'érable du Japon
Le serait-il plus que moi il devient rouge Rouge
À en perdre ses feuilles Un vendredi Il pleut des étoiles
Et la geisha dans son kimono de thé le pleure doucement.
Je ne donnerai pas le change car je connais mon bonheur
Au mieux embrasser une joue en écartant des feuillages
Parmi les délices que le printemps peut donner
Ce sont des sourires que l'ombre naissante ne cache plus
C'est une journée entière qui se poursuit en musique.
La joie de contempler cette vacuité attise mes efforts
Le silence translucide qui s'attache aux dernières gelées
M'oblige à reconnaître qu'il n'y a plus rien de sauvage
La nature est belle dans sa simplicité même Ciel aimé
L'hiver se consume et se refermera en tremblant.
Printemps Réveille-toi La lumière du jour est en attente
Déjà la tapisserie des feuilles se dessine dans le haut de la lisse
Des courants d'air Quel éternel recommencement
Les mots recueillent de nouvelles espérances
Une histoire renaît et m'assure que la vie est en germe.
L'arbre couché sur le flanc gît dans un ultime soubresaut
Cinq branches dressées vers le ciel telle une main tendue
Tant de détresse et tant d'espérance O Crux ave
La main du Christ en croix de Grünewald se raidit
Dans l'Ultime La terre est en fleur sous le Dormeur du Val.
J'ai demandé au jardin si le vent avait des racines sauvages
Si le soleil se levait toujours à l'horizon en hiver
J'ai demandé au jardin si les fleurs poussaient de concert
Si les oiseaux étaient de temps en temps condamnés à se taire
J'ai osé demander Mais nul n'a répondu.
Je collectionne les conversations portées par le vent
Le rire des amoureux l'échange banal du couple âgé
Le souffle du chevaucheur des nuées jusqu'aux cris de l'enfant
Le vol allègre de l'abeille et du bourdon en voyage de noces
Enfin la feuille en chute libre qui s'écrase sur le sol.
La fontaine de Marie stagne sous un ciel de ramures fanées
Au loin L'horizontale se joue d'étranges parallèles
Sur les troncs noirs s'étend une guirlande de chrysanthèmes
Mauves La pièce que l'on jette attend son vœu
Rien ne sera trop éternel pour cette belle Italienne.
Petits pétales et grandes corolles hautement perchées
Les fleurs s'habillent comme un dimanche à la campagne
Je porte midi à pleins poumons et le chante au firmament
La terre elle-même se réjouit d'être nourricière
De sève et de parfum pour les cœurs dilatés.
Journée des vents Bourrasques Souffles Rafales
Ma curiosité est attisée par l'échancrure ouverte
Des branches les plus basses Les statues se voilent
Je me laisse alors embarquer paupières baissées
Sous le grand foc gonflé des marronniers Un jour de plus.
Point de ports lointains ni de luxueux rivages À peine
La traversée d'un bassin hexagonal pour ce voilier affrété
Par un enfant rieur Jadis Quand crinolines et canotiers
Chuchotaient sous les ombrelles de rubans bleus Pour l'heure
Il ne reste que des mouettes en perdition sur une margelle nue.
Ô jardin Il est un art de planter égal à l'art d'écrire
Le sillon creuse la terre en attente Une ligne chasse l'autre
Mais celle que je lis me tient dans l'instant
Les rameaux sont pliés au nœud des syllabes
J'effleure des tiges comme on caresse une casse typographique.
Je suis déjà triste du jour où je te dirai adieu Jardin
Ne pas revenir Ne plus revenir
Peut être vaudrait-il mieux ne pas savoir
Car ce serait alors d'un cœur léger et rieur
Que je te quitterais pour n'y plus revenir.
.............................
Photos prises au cours de l'année 2016.
Commentaires
Merci de nous faire bénéficier d'une pré-publication pour happy few! Et de nous dessiller le regard par l'image et les mots. Un joli et profitable accompagnement de printemps pour les "Procuriens" confinés qui reprennent leurs habitudes au jardin. Tu ajoutes une saveur inédite, plus cérébrale et sensible, au rituel de la pause-déjeuner.
Déformation professionnelle... Je me permets de te signaler la promenade d'Elvire de Brissac "Le long du Luxembourg" (Grasset) : une approche sans aucun doute moins personnelle et poétique que la tienne, mais qui nourrirait peut-être ton amour du Luco avec des anecdotes historiques et des récits d'autres grands amateurs des lieux.