La rue des Petits-Champs dans le 1er arrondissement, entre la Bourse, le Palais-Royal et l'Opéra à Paris, est toujours animée surtout quand vient l'heure de midi, lorsque les restaurants accueillent leurs premiers clients, et ce lundi de février ne déroge pas à la règle. Nous cherchions où déjeuner après quelques courses dans le quartier, quand par le plus grand des hasards nous poussons la porte du Willi's Wine Bar.
Restaurant, certes, à l'excellente cuisine de bistrot, mais plus : Un lieu de convivialité où l'on aime « le bon vin », où l'on prend son temps au comptoir pour déguster entre amis un Coteaux-du-Layon ou un Loupiac. C'est le lieu idéal ! Oui, mais pas seulement... Il y a aussi tout un décor...
En effet, autour de nous, des affiches. Beaucoup d'affiches de même format, grandes et surtout parfaitement encadrées. Le propriétaire Mark Williamson, britannique, très britannique même, choisit chaque année un artiste auquel il confie "la mission" de créer une affiche, affiche qui mettra en avant "le vin, la vigne, le plaisir, l'art et la joie qui l'accompagne" et "son" restaurant.

Reproduction avec l'aimable autorisation de WWB
En attendant le dessert, entourés par toutes ces affiches disposées sur les murs, je glisse quelques mots à Françoise : « Pourquoi ne ferais-je pas l'affiche 2025 que je proposerai pour l'an prochain ? » « Oui, me dit-elle, pourquoi pas ; Essaie, tente ta chance ! »
Après avoir réglé l'addition, je pose innocemment la question à la serveuse qui me répond gentiment : « Écrivez à M. Williamson, envoyez-lui un mail, lui seul vous dira…. ».
Sitôt dit, sitôt fait.
(...)
Dans les semaines qui suivirent, je reçus une réponse qui me proposais de venir discuter de mon projet. Je ne savais pas encore ce que j'allais proposer, mais l'échange à bâtons-rompus que nous avons eu au cours de ce repas partagé avec Mark Williamson et sa belle-fille Arabella, un certain mercredi de mars, me permit de mieux cerner les enjeux et leur attente.
Me voilà, et je l'avais bien voulu, au pied du mur. Je leur parlais de mes créations sur carton et c'était dans cette optique que je souhaitais travailler. Ils restaient un peu dubitatifs, mais ne fermaient pas la porte, bien au contraire.
En partant, Mark m'offrit un petit book avec toutes les affiches qui avaient été réalisées depuis les années 1980.
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Certains noms, loin de m'être inconnus, en avaient réalisé de très belles : Castelbajac (2005), Loustal (2004), Grimwood (2019)... C'était un peu intimidant...
Jacques de Loustal (2004)
Serge Clément (1995)
La barre était haute, mais le défi à relever particulièrement intéressant.
Les semaines passaient. Des dessins préparatoires s'enchaînaient. Quelques esquisses... Trop d'idées, peu de contraintes. Je ramais un peu... beaucoup...
Dans ces moments-là, j'aime me souvenir de ces mots de Max Jacob :
"Ennuyez-vous. Car ce jour-là vous prendrez un porte-plume et un papier et vous ferez peut-être un chef-d'œuvre. Tout est dans la qualité de l'ennui."
Et puis un matin, étrangement, une idée commença à faire son chemin. Un chef-d'œuvre, je n'en étais pas sûr, mais un gribouillage sur un coin de feuille et voilà que le projet prenait forme immédiatement dans ma tête. "Oui. C'était ça !"

Pour équilibrer la structure, j'avais besoin de quatre cercles et un carré. Pour la thématique, mettre en avant l'idée de convivialité avec des verres et des bouteilles posés sur des tables, dans un décor de feuilles de vigne et d'amandier.
Sans oublier Paris, bien sûr, dont la présence était indispensable, la ville serait ici, représentée par sa Tour Eiffel et l'adresse du restaurant.
Tout semblait prendre sa place naturellement.
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Restait à savoir si je travaillerais sur un "double" carton, comme j'en avais pris l'habitude depuis ces dernières années ou si j'opterais pour une "simple" feuille. Le but étant une affiche et non une sculpture, il fallait garder à l'idée que le carton serait encadré. La double épaisseur risquait donc d'être compliquée pour la réalisation photographique. Ce serait l'étape suivante, au cours de laquelle je n'interviendrais pas, mais à laquelle je devais impérativement penser.
Je préférais donc réaliser la découpe prévue sur une seule feuille carton.
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Je taillais une petit maquette un peu grossière de l'ensemble, à partir de mon dessin original, maquette que je présentais un mois plus tard. Il fallait que Mark et Arabella aient une idée, vague, mais pas trop...

La maquette achevée, je traversais la Seine pour savoir ce qu'en pensait nos amis. Je garderai en mémoire le visage d'Arabella, assez surprise, mais m'avouant immédiatement son enthousiasme, seulement la partie ne serait gagnée que lorsque Mark Williamson, qui était en séjour au Japon, donnerait son accord de principe. Aussi lui envoyait-elle une photo dans la foulée. Sans trop attendre, quelques jours plus tard, je recevais le satisfecit pour véritablement commencer mon travail. C'était un peu une gageure parce que je savais que le carton définitif serait un peu éloigné de ce qu'ils avaient vu. Mais j'avais confiance. Passer de cette petite taille à une autre, trois fois plus grande, impliquait obligatoirement un façonnage de détails dont ils n'avaient pas connaissance sur la maquette. (Et moi non plus d'ailleurs...) Cela leur plairait-il ?
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Un grand et beau carton était là, il m'attendait depuis des semaines, choisi et prévu pour ce travail. La découpe pouvait alors commencer.


Il me faudra un bon mois de travail, mais comme à l'habitude les choses avançaient plutôt facilement. (Par comparaison, ci-dessous, vous verrez les différences à gauche, la maquette, à droite le définitif.)
Heureusement, l'inspiration était au rendez-vous chaque matin, comme si je l'avais convoquée... Surtout pas de dessin afin de ne pas m'imposer un schéma trop précis à suivre.
Mon cher J.-S. Bach en fond sonore et, je l'avoue, ses quelques sonates en trio apaisaient la tendinite latente de mon bras droit qui découpait durant des heures !
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Avec humour, en fin de travail, j'insérais plus ou moins discrètement les initiales de Mark Williamson sur l'étiquette de l'une des bouteilles ; Puis l'année 2025, dissimulée sous quelques feuilles de vigne en bas à gauche, enfin mon sigilum en bas à droite.
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Le 25 septembre, rendez-vous était pris dans une imprimerie à Houilles pour le tirage de l'affiche. Il était tout juste 10 heures, quand le calage sur machine était prêt et que les premières feuilles commençaient à sortir du ventre d'une immense offset de vingt mètres de longueur. Le résultat que je souhaitais était difficile à obtenir. Il fallait monter en couleur et se persuader que le résultat serait différent de l'original dans sa forme définitive. J'avais plutôt l'impression de me trouver devant une linogravure de taille conséquente (1m x 0,70m).
L'ordinateur analyse et assure le bon équilibrage des couleurs. Mais, j'essaie de veiller au mieux.
Quand je pense à Gutenberg ! Il ne faudra à cette offset que quelques minutes pour tirer les centaines d'affiches qui partiront ensuite vers le massicotage.
La pile est prête ! Un petit papier jaune sépare dans la pile les imprimées sur Vélin d'Arches et celles imprimées sur un papier plus ordinaire.
Contents l'un et l'autre, nous immortaliserons le résultat final dans la cour de l'imprimerie.
Avec Mark Williamson.
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Invité, huit jours plus tard, à venir signer les 100 exemplaires sur Vélin, et pas moins de deux grands après-midis seront nécessaires pour en venir à bout !

Heureux d'arriver à la signature du n°100
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Puis vînt le grand jour...
Le 10 octobre ! Nous fêtons le 45ème anniversaire de l'ouverture du Willi's. Arabella a eu la bonne idée de faire agrandir des détails de l'affiche sur des adhésifs qui sont collés sur les vitres des portes du restaurant. La surprise est de taille quand nous arrivons par la rue Vivienne. C'est une excellente idée.
L'obscurité tombe déjà sur la rue des Petits Champs encore assez fréquentée à cette heure-là. Il n'est pourtant que 19 heures 30, et peu à peu tout le gratin de l'œnologie "britannique", de France en passant par Paris, se retrouve. Le restaurant a été fermé pour cette soirée privée. Mark, très heureux, accueille ses amis, beaucoup d'amis, et de vieux amis, semble-t-il, tous heureux de le retrouver et de se retrouver. Cela se voit et surtout cela s'entend. Le brouhaha s'amplifie au fil des minutes, d'autant plus sonore que je ne peux pas véritablement donner sens au flot de paroles que j'entends et qui m'entoure. Je l'avoue, je suis plus doué pour découper du carton que pour m'exprimer en d'autres langues ! Certains ne viennent que pour ce temps fort de l'année et sont heureux de partager le Jéroboam de champagne qui coule dans leur verre...
Le silence est enfin demandé, Mark panache son discours de quelques phrases en français à l'intention de ceux qui ne comprendraient pas tout de son humour so british dont il semble un spécialiste. Un petit mot sympathique pour l'artiste...

L'affiche originale a trouvé sa place d'honneur entre les deux fenêtres de la grande salle...
La soirée se poursuit autour d'un repas préparé par le chef et arrosé de quelques bons crus. (En particulier, un petit Vouvray 1989, Goutte d'or... Chut ! qui ravit les convives au dessert.)
Il est presque minuit... En attendant l'affiche 2026 qui aura l'honneur de remplacer la mienne l'an prochain, "mon carton" vivra sa vie au fil des saisons, décliné en cartes, menu et autres produits dérivés et ornera les pages d'un prochain album.
Je ne peux que remercier Mike et Arabella pour leur confiance car le pari de départ n'était pas gagné. Confiance, aussi, car l'auteur n'étant pas des plus connus, l'aventure pouvait sombrer dans les sables mouvants... Enfin, un grand merci au personnel, pour leur accueil toujours chaleureux. Oui, redisons-le, le hasard fait parfois bien les choses.
Derniers mots. N'hésitez pas si vous habitez Paris à prendre le temps d'une escapade au 13 rue des Petits Champs dans le 1er arr., je vous assure que vous ne le regretterez pas. Voyez ce bar il vous attend. Vous y serez bien accueilli !
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Commentaires
Dominique, tu es formidable, quel talent!
Sympa, ton récit ; sympa aussi, l'affiche ! Bravo.
Devinette: te souviens -tu de ce que tu faisais 22 ans avant son inauguration ( à un jour près) ?
Amicalement à tous les deux,
Sabine
Bravo Dominique ! Décidément, tu ne me manques pas de ressources. Que d'originalité et d'harmonie.
Cette affiche est superbe !
Bises
Bravo Dominique!
C'est très original. J'aime beaucoup!
Bises
Claire
Quelle superbe histoire et quel superbe résultat ! Nous ne sommes pas surpris du succès, nous qui voyons l'admiration de nos amis pour l'oeuvre qui trône chez nous. Nous allons en tout cas prendre le shcmein de la rue des Petits Champs à la première occasion, pour découvrir le lieux.
Bravo Dominique. Belle réalisation et histoire emballante!
Bonjour.
Quelle Véronique ? J'ai envoyé le blog à quatre Véronique, mais laquelle m'a répondu ?
Impossible de le savoir. J'ai seulement une petite idée.
Merci de me répondre.
Amitiés
Dominique
Je suis toujours admirative de ta capacité d'imagination et de tes talents de découpeur de cartons...
Tant que tu peux être actif profites-en bien!
Je t"embrasse ainsi que Françoise
Très cher Dominique, quelle magnifique aventure artistique et personnelle ! Une belle histoire qui vous ressemble tant et vous honore pour votre créativité si personnelle et créatrice toujours plus et toujours plus ! Merci Dominique et à très vite dans notre 15e
Ghislène
Félicitations Dominique pour cette affiche magnifique et ce récit qui nous tient en haleine jusqu'au bout!
Quel talent!
Je ne manquerai pas de passer rue des petits champs admirer l'affiche.
je vous embrasse tous les deux
Véronique B