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Willy ANTHOONS - L'esprit de la matière

     

 

    Le Mill est un magnifique musée situé au centre de La Louvière, ville à une heure au sud de Bruxelles. Or il y a 75 ans, Willy Anthoons et son contemporain Idel Ianchelevici partageaient déjà ces salles pour leur première exposition, c'était en 1946.

     2023 les voit à nouveau réunis pour le temps de cette magnifique rétrospective.

 

Ces quelques mots du conservateur du Mill, Benoît Goffin, en introduction :

     "Une rétrospective du sculpteur Willy Anthoons est un choix en apparence étonnant. Les raisons d'exposer cet artiste sont multiples. La première d'entre elles est de renouer avec la sculpture, une discipline chère à notre musée (...). La seconde est de donner l'occasion au public de découvrir un artiste relégué par l'histoire de l'art (...). La troisième, d'ordre plus symbolique, est de poursuivre le dialogue entre Willy Anthoons et son contemporain Idel Ianchelevici qui reste plus fidèle à la figure humaine.

     Anthoons est alors le représentant d'une non-figuration d'essence organique, où semble régner l'esprit de la matière."

   

 

Le parcours d'une vie à grands pas...

     Un petit guide est offert pour accompagner la visite de cette exposition. Il m'aidera à résumer parfaitement la démarche de Willy Anthoons (né en 1911) depuis ses premières années où il "entre en sculpture" comme d'autres entreraient en religion... jusqu'à son décès en 1982.

    Je me permettrai de reprendre donc les différentes têtes de chapitre de ce livret pour vous entraîner à la découverte de ce sculpteur, homme auquel je porte un attachement tout particulier, certains le savent déjà. En effet, au-delà d'avoir été notre professeur à Estienne, il fut un ami et un ami qui a eu besoin de mes propres mains pour finaliser certains de ses derniers travaux quand la maladie de Parkinson l'empêchait définitivement de travailler. Mais nous y reviendrons plus loin...

 

Un artiste figuratif.

Les premières œuvres présentées sont empreintes d'un naturalisme serein.

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Après l'Ecole Saint-Luc, école d'art réputée en Belgique, puis l'Académie des Beaux-Arts de Bruxelles où il pratique le dessin et le modelage, il s'inscrit à l'Institut supérieur des arts décoratifs (La Cambre).

Personnellement, je découvre là tout un pan de son œuvre que je  connaissais fort peu.

 

 

 

 

 

 

 

Eve, 1946, pierre Blanche

 

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La famille, 1938,

pierre blanche de Massengis

 

     

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Petit torse de femme, 1944, bois

 

 

Dès la fin de l'année 1940, Willy Anthoons abandonne un emploi alimentaire de dessinateur-architecte pour se consacrer pleinement à la sculpture.

 

 

Un artiste d'Avant-Garde.

    Anthoons expose pour la première fois seul en 1944 à la galerie Manteau à Bruxelles, et l'année suivante au Palais des Beaux-Arts.

     Au cours des années 1946 et 47, il évolue en décantant de plus en plus le réel avec une préférence pour les masses fluides et ondoyantes et les vides pour dynamiser les surfaces. Mais surtout il participe au mouvement de la Jeune Peinture belge, une aventure collective au sein de laquelle il sera le seul sculpteur. 

     Les esthétiques de ces artistes sont variées, de Pierre Alechinsky à Pol Bury, retenons seulement que c'est une des pages les plus fécondes de l'art belge du XXe siècle.

     Ainsi, comme je le disais plus haut, la Louvière accueille une première exposition collective à laquelle il participe en 1946.

 

 

Le tournant de la non-figuration.

     En 1948, Anthoons découvre Mondrian, ce qui fera évoluer son art vers plus de dépouillement , un abandon du réel, une route vers la non-figuration.

     Il sculpte alors la Cathédrale humaine, 1948 une œuvre charnière dans sa carrière. Elle réunit en une synthèse plastique l'homme, modèle de l'art universel et la cathédrale, symbole des bâtisseurs occidentaux.

     1948 est aussi l'année de son installation dans un nouvel atelier à Charenton, proche de Paris. Atelier que j'ai personnellement bien connu, puisqu'il y a résidé jusqu'à son décès en 1982.

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La Cathédrale humaine, 1948

Cette œuvre, pour des raisons de prêt, n'était pas présente lors de cette exposition. On la retrouve photographiée dans l'atelier de Charenton, sur la partie haute et à gauche de la photo.

 

 

 

 

 

 

 

 

Au-delà du visible.

     Ni figuration, ni abstraction, dont le sujet reste ouvert à de nombreuses controverses, Anthoons se situerait entre la représentation de l'une et la radicalité de l'autre. On préfèrera parler de non-figuration, un concept déjà utilisé en peinture avec des peintres comme Le Moal et Manessier qui étaient lien avec Anthoons.

     C'est dans cette mouvance qu'il noue de solides amitiés avec d'autres sculpteurs, comme Jean Arp, Nicolas Schöffer, sans oublier Henri Laurens.

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Des volumes organiques.

     Proches de cathédrale humaine, les pièces des années 1949 et 1950 se traduisent en confrontations de formes et emboîtements de volumes.

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Travail plus monolithique, proche du bloc originel.

 

Amour, 1951,

pierre d'Yonne

 

 

 

 

 

 

 

 

Vers la reconnaissance.

     Cathédrale humaine, lui sert en quelque sorte d'étendard et lui permet d'être au rendez-vous des grandes manifestations nationales (Salon de Mai en 1949) et internationales (Sao Paulo en 1953, Middelheim, Belgique).

     Les galeries de Deux-Îles et Colette Allendy, lui permettent d'exposer à Paris en 1950 et 1954. Enfin, la galerie Ariel devient sa galerie attitrée. (Je me souviens bien de la dernière exposition dans cette galerie en 1974.

     La même année en 1954 il expose au à Bruxelles :

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     L'année 1957 est particulièrement faste pour Willy Anthoons.

     La critique salue son travail :

      "(les) deux pôles de l'oeuvre sculpté d'Anthoons sont les structures naturelles (les troncs d'arbres) et les architectures d'une stricte géométrie"

Waldemar George , Rédacteur en chef de la revue Prisme des Arts

      "Un ensemble d'une bonne tenue" et parlant de Fleuve, "centrée dans sa masse sur un axe horizontal, stricte et légère de facture, très belle de mouvement (...)"

Pierre Restany, critique d'art

    

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     Fleuve, 1957, obrero

     

     Fleuve, pour ma part, est une des plus belles sculptures réalisées par Anthoons, sans oublier une plus petite qui s'appelle "Ondine" (non présente à l'exposition).

    (Un jour dans son atelier, , j'eus, comme un privilège, le grand plaisir de pouvoir "caresser" doucement "Fleuve", de retour de l'exposition de 1974, cette grande masse de bois horizontale de près d'un mètre, si douce et majestueuse, elle me faisait penser à ma Loire natale. Je ne risquais surtout pas d'avoir un gardien de musée qui me tombe sur le dos avec cet avertissement :  "Je vous rappelle, Monsieur, qu'il est interdit de toucher aux œuvres.")

     En 1961, Willy Anthoons reçoit un prix prestigieux en Allemagne, reçu des mains de Jean Arp.

 

Sculpteur et dessinateur.

     En dehors de la sculpture, Anthoons, réalise de très nombreux dessins. Dans ce domaine, son cheminement artistique suit celui de son œuvre sculpté. Cette production graphique, elle aussi, se détourne du réel par une lente décantation. 

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(De gauche à droite)

Composition abstraite, 1966, gravure

Composition, 1960, collage de papiers déchirés

Composition abstraite, 1964, collage sur papier

Espace, 1959, collage sur carton fin

     À la frontière de plusieurs disciplines, la pratique des papiers de couleur déchirés et collés, qu'il expérimente depuis la fin des années 1950, lui permet de combiner subtilement sculpture, dessin et peinture.

 

Le métal en mouvement.

     Willy Anthoons, s'intéresse de près à la problématique du mouvement. Le mouvement est traduit de 1953 à 1961 en surprenants mobiles en aluminium.

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    Les éléments constitutifs d'un même mobile revêtent des formes variées dans l'espace lorsqu'ils sont en mouvement, ce qui les distingue de ceux de Calder.

    En 1973, l'exposition Les constructions du silence, à Anvers, lui offre l'occasion de présenter un panorama de ses œuvres en métal.

    (Je me souviens avoir personnellement travaillé sur ces mobiles. alors qu'il était déjà bien atteint par la maladie de Parkinson, je me revois encore derrière la scie électrique à découper et plier ces feuilles d'aluminium assez épaisses, puis à les passer au papier de verre pour obtenir le grain de matière qu'il souhaitait. Le travail du sculpteur passe aussi par ces heures d'affrontement et de répétition lente avec la matière.)

     Mobiles, oui ! Mais aussi des "stabiles" en aluminium. L'idée, m'en souvient-il, était de jouer avec les plans devant/derrière dans des sculptures découpées dans une seule plaque de métal. La surface était polie ou laissée brute suivant les différents plans.

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Interne, 1966, aluminium découpé

 

Du mystique au sacré.

     Durant les années 1960, les expositions personnelles se font plus rares. Il se tourne alors vers l'art sacré qui retrouve un nouveau souffle sous l'impulsion du Père Couturier. Mais à la différence d'autres artistes, Anthoons se distingue par une vie intérieure, empreinte de spiritualité, et même de mysticisme. Très secret, ensemble, nous ne parlions guère de ce cheminement intérieur que je devinais chez lui, mais d'un certain point de vue nous étions un peu sur la même longueur d'onde, oserais-je dire. Jean-Sébastien Bach, avec l'Offrande musicale et l'Art de la fugue nous apportait par son langage musical ce qui nous permettait de nous retrouver. En toute simplicité.

     Dans la mouvance du Concile Vatican II, l'art sacré pénètre de nouveau dans les églises et les chapelles. Anthoons réalise alors vitraux, croix, autels, ambons et tabernacles...

   Particulièrement à Rennes, où il intervient dans cinq églises de la ville.

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Croix murale, 1966, fer forgé

     Art sacré, art figuré ? Ses pièces d'art sacré ne s'éloignent guère de sa sculpture "profane". Ses crucifix deviennent de plus en plus épurés. "Aller à l'Essentiel" semble un maître-mot dans son art.

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     Crucifix, 1966, bronze  -    Croix, 1960, bronze   -    Crucifix, 1955, buis et ébène

 

Faire entrer la lumière.

    Au milieu des années 1960, une évolution se fait jour dans l'œuvre sculpté de W. Anthoons. Après avoir taillé des blocs d'aspect massif et monolithique, il privilégie des constructions modulaires où des cellules semblent se multiplier Des cavités apparaissent dans certaines pièces, des fentes étroites laissent passer l'espace et la lumière. A l'instar de ses mobiles, sa sculpture s'affranchit de la masse, donnant encore plus de vitalité à la matière inerte.

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                    Arbre de vie n°2, 1965, bronze

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                               Communication, 1969, doussié

 

Les derniers feux.

     C'est à la suite de quelques difficultés matérielles que Willy Anthoons accepte fort à propos une charge d'enseignement. De 1970 à 1974, il est professeur de "troisième dimension" à l'Ecole Estienne, École supérieure des arts et industries graphiques à Paris.

      La maladie de Parkinson l'oblige après quelques années d'enseignement à arrêter ses venues sur Paris et à demeurer dans sa maison-atelier de Charenton avec sa chère épouse. 

     En 1974, la galerie Ariel, "sa" galerie, lui rend un ultime hommage en retraçant son cheminement artistique. Près de trente œuvres sont présentes dans cette galerie lumineuse située au 140 du boulevard Haussmann. Je me souviens de lui, souriant et heureux, au milieu de ses sculptures. Quelques uns de ses élèves d'Estienne étaient là, découvrant l'œuvre d'une vie, ce qu'il essayait tant bien que mal de leur transmettre. 

Il nous quittait le 17 décembre 1982 à 72 ans. 

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    Pour conclure cet article, je me permets de joindre le texte, que j'ai eu le plaisir de lire lors du vernissage au Mill, ce jeudi 26 janvier 2023, en présence d'une assez nombreuse assemblée et des personnalités notables de La Louvière. J'étais à la fois un peu ému et heureux de cerner, malheureusement bien trop rapidement, la personnalité de Willy Anthoons qu'aucun invité de l'assemblée n'avait connu de son vivant !

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Entre Monsieur Marcel Daloze, commissaire de l'exposition à ma droite et M. Benoît Goffin, le conservateur du Mill à ma gauche.

 

 

Mesdames, Messieurs

 

     « Willy, le thé est prêt ! » À 16 heures 30, Madame Anthoons nous appelait pour le goûter. J'ai entendu cette invitation, chaque samedi, au cours des trois années où j'ai eu la chance de travailler dans l'atelier de M. Anthoons à Charenton.

    Willy Anthoons fut mon examinateur aux oraux du concours d'entrée de l'Ecole Estienne et mon professeur pour une seule année scolaire 1973-1974. J'en garde un souvenir mémorable, moi qui montait de ma province... C'était il y a 50 ans !

    À l'École Estienne, il nous enseignait la troisième dimension, et je l'avoue, dans un enseignement un peu abstrait pour tous. Nous n'avons jamais su, d'ailleurs, au cours de cette année quelle était vraiment la finalité de son enseignement... 1973 fut surtout sa dernière année d'enseignement parce que trop atteint par la maladie de Parkinson.

    C'est dans ce contexte d'un homme diminué par la maladie que je fus invité à sa demande à venir travailler pour lui et avec lui chaque samedi après-midi. En effet, dès le début de l'année scolaire, je lui avais avoué que je faisais un peu de sculpture à mes heures perdues et osais lui montrer mes derniers travaux. Il vit qu'il y avait peut être un potentiel à mettre en valeur, mais devait avoir en arrière-pensée qu'il trouverait là une bonne aide pour ses futurs travaux personnels. Pour ma part j'acquiesçais immédiatement à sa demande.

 

    Entre 1973 et 1976, assis dans son fauteuil, l'œil attentif derrière ses lunettes à double-foyers, il me regardait redresser un socle, couper de l'aluminium ou retailler un bloc de marbre. Dans la semaine, il avait méthodiquement préparé le travail que je devrais exécuter au cours de l'après-midi.

 

    Certains samedis, ils nous arrivaient de travailler en musique. Seuls, l'Art de la fugue ou l'Offrande musicale de J.-S. Bach tournaient alors sur son vieux Teppaz. Ce furent vraiment pour moi et peut être pour lui aussi des heures privilégiées.

     L'avant-dernière fois que nous nous sommes vus je reçus de ses mains un cadeau extraordinaire. Il avait préparé une caisse avec une centaine de ses outils, un livre auquel il tenait beaucoup et enfin m'avait dédicacé son catalogue d'exposition chez Ariel en 1974 de quelques mots et de sa main tremblante « Avec tout mes vœux de réusite (sic) » ? Avec un seul s parce qu'il disait que le mot était plus équilibré ainsi !

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    La dernière fois, en 1982, ce fut sur son lit d'hôpital quelques jours avant sa mort. Je lui serrai la main dans un adieu inoubliable.

     Je me permets d'ouvrir une petite parenthèse pour conclure. Ne souhaitant pas que ces outils soient dispersés après ma mort, j'ai souhaité les rendre à sa famille et je remercie Monsieur Daloze, ici présent, de m'avoir permis de retrouver son petit fils à qui ils ont été rendus depuis, exceptés ceux, présentés ici dans ces vitrines, qui le seront plus tard.

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  Quelques uns  de ses outils pour tailler le bois et la pierre accompagnés de sa massette à manche en buis et tête en plomb. 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voilà. J'ai toujours considéré comme une belle aventure personnelle notre rencontre improbable. Celle, qui me fut donnée et qui cinquante ans plus tard continue à nourrir mes travaux. Comme tous mes amis d'Estienne, il est sûr, qu'Anthoons ne sera pas passé au milieu de nous sans avoir laissé un petit peu de lui dans la mémoire et le travail de chacun.

    Vous n'imaginez pas la joie que me procure l'hommage que lui rend votre musée aujourd'hui. Merci à tous.

                                                Dominique Fournier, 26 janvier 2023. Mill. La Louvière

 

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Je vous recommande le livre de Marcel Daloze, Willy Anthoons, L'esprit de la matière

Galerie Philippe Samuel, 2012.

 

Commentaires

  • Merci de nous faire découvrir ce bel artiste, Dominique - comme toi j'aime rendre hommage aux êtres qui ont traversé ma vie de façon créative

  • Quelle belle découverte! Dès le début je vois un visage magnifique qui me parle et qui annonce les oeuvres à venir .Merci beaucoup cher Dominique .Je regarderai de nouveau plus attentivement tout ce qui est dit .Mais ce qui me frappe c'est l'adéquation du visage et des oeuvres . Merci encore!

  • Avec toi,je découvre et apprends beaucoup de choses!Merci Domlnique!

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