C'est à l'écrivain André Malraux que j'emprunte ce titre : Un musée imaginaire. En effet, en 1947, il rédige un essai qui porte ce titre et cet essai développe l'idée que la reproduction des œuvres, grâce à la photographie, gagnera un formidable moyen de propagation pour aider à leur connaissance, surtout dans le domaine de l'édition.
À partir de là, son propos initial jouait sur deux plans. Le premier était plus ou moins d'ordre pédagogique ou scientifique : mettre en relation des œuvres d'art de différentes cultures et époques afin d'analyser leurs différences ou leurs similitudes, ce qu'il appelait les « métamorphoses ».
Et dans un second temps, la possibilité de sélectionner, par un choix personnel, des œuvres, peintures ou sculptures, afin de composer son propre petit musée.
À l'heure d'internet, rien n'est plus facile me direz-vous que de faire défiler sur son écran d'accueil le choix des plus belles reproductions des tableaux des peintres ou des sculptures de nos artistes préférés, et ce à l'infini...
Laissant volontairement de côté les artistes les plus connus, ceux que j'ai côtoyés toute ma vie dans les musées, les expositions ou les livres d'Art, que ce soit pendant mes études ou mes recherches personnelles... Et là, je pense, bien sûr, à Giotto et à Poussin, à Georges de La Tour et à Kandinsky, Derain ou encore Klee... La liste est très, trop longue... Des modernes surtout.
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J'ai souhaité vous présenter dix œuvres avec lesquelles je souhaiterais passer le reste de ma vie.
Ces dix œuvres, ce sont celles de dix peintres. Hommes et femmes. Aller à leur rencontre... pour vivre un moment dans la couleur.
Mais y a-t-il un fil rouge entre toutes ces œuvres ? À vous de le suivre...
Julius Bissier.
Roger Bissière.
François Blanquet.
Pierrette Bloch.
Henri Boursigot.
François Dilasser
Charles Filiger.
Georges Ribemont-Desseignes.
Gabriel Munter.
Jan Verkade.
Julius BISSIER (1893 – 1965). C'est le peintre des « Miniatures ». Lorsque l'on voit cet homme à sa table de travail, on imagine déjà le « silence » déposé sur sa feuille de papier. De tous petits formats, ces dessins concentrent une énergie faite d'équilibre entre les couleurs diluées, les lettres éparpillées et les symboles d'une cabalistique toute personnelle. Pas de titre, pas besoin de titre d'ailleurs, l'œuvre parle pour elle-même. C'est un homme qui n'a jamais dévié de son chemin de liberté.
Rien de trop. La Parole juste, c'est ce que je ressens. C'est l'œuvre dont on aimerait être l'auteur, mais il aurait fallu auparavant accepter la douleur de passer par le chas de l'aiguille. Passage par la mort, par le feu... comme Bissier a pu le connaître quand son atelier a disparu dans un incendie.
En voyant cette œuvre qui m'accompagne depuis plus de cinquante ans, je me vois lire et relire une icône, admirer une écriture et un dessin aux dimensions spirituelles, qui me transmet un message qui me dépasse et m'étonnera toujours.
J'ai peut-être croisé cet homme, sans le savoir, dans les ruelles d'Ascona dans les années 60, lorsque nous passions nos vacances dans le Tessin avec mes parents. Par contre et cela est sûr : j'ai eu la chance de croiser son œuvre au cours de diverses expositions pour ma plus grande joie.
Julius Bissier . 31 Dez 63m -1963- Tempera à l'œuf et à l'huile . 44cm x 56,5cm Coll. part.
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Roger BISSIÈRE (1886 – 1964). Avec ce peintre, je découvre l'École de Paris, c'était en terminale. Nos professeurs de dessin ne juraient à l'époque que par Bazaine et Manessier. Ils n'avaient peut-être pas tort, mais il n'y avait pas que ces deux peintres là. Roger Bissière faisait alors partie de cette belle équipe.
Je n'aime, je l'avoue, que la période du Bissière des années d'après-guerre, lorsqu'il reprend ses pinceaux après s'être arrêté volontairement de peindre pendant quelque temps. Il entre dans une période plus abstraite, on parle alors chez lui de « paysagiste abstrait ». C'est vrai.
Il règne dans ce travail une simplicité qui m'émeut. Une invitation au voyage visuel. J'aime cette peinture cloisonnée dont on retrouve certains schèmes dans la peinture de François Dilasser, mais il se passe beaucoup de choses dans cet univers, proche d'un univers assez musical.
Roger Bissière. Composition 330 -1957- huile 50cm x 65cm Coll. part.
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François BLANQUET (1924-1997). D'une famille d'ébéniste dont l'entreprise était connue à Orléans, François Blanquet a vécu toute sa vie dans cette ville. Il était à la fois sculpteur et peintre. Malheureusement, sa vie a été rendue difficile en raison d'une santé psychique assez fragile. Il ne vivait que pour son art. Certainement très religieux et un peu mystique, son saint patron, "François d'Assise" est une source d'inspiration qui tient une grande place dans son œuvre . De nombreuses sculptures en témoignent, dont celles, magnifiques, qui ornent encore l'ancien magasin familial rue d'Illiers à Orléans.
J'aime beaucoup ce tableau Le Puy de Dôme, peint en 1957 pour différentes raisons. Tout d'abord, je l'ai toujours connu depuis ma plus tendre enfance dans le salon de mes parents. En peignant ce tableau, songeait-il au long séjour qu'il fit en Auvergne avec sa famille durant la guerre, cela est fort possible.
J'ai toujours été étonné par sa naïveté. L'oubli du « quand dira-t-on. » La fraîcheur des scènes qui s'en dégage offre une source de joie et de bonheur, (il avait peut être souffert d'en avoir manqué). Les oisillons nourris dans leur nid, le berger qui garde ses moutons avec son chien fantasque, sans oublier ce char de foin tiré par deux vaches rouges prêt à recevoir des bottes de blé fraîchement coupées...
Pour moi, c'est un tableau « mémoire ».
François Blanquet. Le Puy de Dôme. -1957- 46cm x 55cm Coll. part.
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Pierrette BLOCH (1928 – 2017). J'ai découvert l'œuvre de cette immense artiste à la Galerie Karsten Greve, lors d'une exposition en 2011 à Paris, ce qui est assez récent. Elle vécut une forte amitié avec Pierre Soulages. Mais loin d'être le noir de son ami, le sien est fait de taches.
Pour ma part, immédiatement séduit par cette écriture qui ressemblait à des travaux que j'avais aussi réalisés de mon côté. Je trouvais dans son œuvre comme un écho. Le tout vécut dans une économie de moyen : De l'encre de Chine et des papiers multiples et divers.
Des traces au pinceau... C'est donc la singularité de son travail qui m'a d'emblée saisi.
L'œuvre choisie est une des rares que j'ai vue en couleur.
Ses tissages avec du crin de cheval, aussi. Une écriture sur un fil de nylon ! Un travail de funambule. Et au-delà un travail de persévérance. Elle a maintenu le cap de « la recherche », sa vie durant.
Ce fut une très belle rencontre, sans l'avoir jamais rencontrée.
Je trouve que ce lien vous donnera un excellent aperçu de son œuvre.
Pierrette Bloch. Collage bleu. Encre sur papier -1971- 30cm x 24cm Coll. part.
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Henri BOURSIGOT (1907 – 1989). J'ai le plaisir d'offrir une place à ce peintre dans ce musée imaginaire. Peintre du dimanche, diraient certains... Je n'aime pas, mais pas du tout, cette expression que je trouve méprisante. Peintre de ses temps libres ou de ceux que lui laissaient ses très hautes fonctions dans la magistrature à Orléans.
Ces paysages sont ceux de la vallée de la Creuse, où il aimait tant revenir durant ses vacances. Homme doux et paisible, patient et simple, j'eus cet immense plaisir de l'accompagner plusieurs fois et de prendre à ses côtés mes premières leçons de peinture au cours des années 70.
Comme Cézanne, il partait, chevalet à l'épaule, quelques toiles sous son bras et le tabouret sous l'autre, à la recherche d'un point de vue dans la nature, et là, assis sous les arbres ou au bord d'un ruisseau, d''une brosse alerte, il traçait ses lignes de force avant d'entrer dans les détails par moult pinceaux...
Je le regardais travailler. C'était un privilège. Je demeurais alors silencieux à ses côtés sans voir passer les heures. J'admirais ces camaïeux de verts, changeant au cours des saisons, la ligne bleue rosée des collines de l'horizon.
Nous sommes retournés cet été sur les lieux où ce tableau a été peint. Cinquante ans après, si la végétation en a modifié quelques détails, la route, le plan d'eau et l'horizon n'ont pas bougé...
Crocq. (photo prise cet été 2025.)
Henri Boursigot. Vue de Crocq. Huile sur carton -1965- 50cm x 65xm Coll. part.
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François DILASSER (1926 – 2012). Breton de Lesneven, après avoir exercé plusieurs métiers, c'est un autodidacte qu'il se consacre totalement à la peinture vers l'âge de 40 ans.
Une œuvre très personnelle « au trait vibrant, subtil et faussement hésitant ».
Ses séries : les veilleurs, les bateaux-feu, les planètes... offrent des tableaux qui repensent une vision colorée du monde sans cesse renouvelée. Une recherche inlassable sans jamais se répéter.
Pour moi, il y a tout dans cette peinture. La couleur, le dessin, le renouvellement sous le mode de la variation. Dire toujours plus et différement. Avec énergie.
J'ai rencontré l'œuvre de François Dilasser avec sa série des jardins à l'été 1993 dans une revue d'Art sacré. Un véritable coup de foudre qui ne s'est jamais démenti au fil des années. Nous avons eu un échange épistolaire pendant quelques années jusqu'à ce que sa santé se dégrade et qu'il ne puisse plus communiquer.
Je n'ai jamais pu acquérir un de ses tableaux. Un regret.
Comme hommage à ce peintre qui m'a tant apporté, j'ai souhaité reprendre une de ses esquisses au crayon de papier de sa série « La chute d'Icare », pour réaliser le carton qui m'avait valu le troisième prix des Artistes de la Mairie du XVème en 2022.
François Dilasser. Jardin. -oct. nov. 1990- Acrylique et fusain 50cm x 48 cm Coll. part.
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Charles FILIGER (1863 – 1928). On découvre parfois un peintre et son œuvre par le plus grand des hasards. Une photo dans une revue, une galerie qui expose quelques tableaux sans renfort de publicité... Bref, c'est ce qui m'est arrivé pour l'œuvre de Charles Filiger que j'ai rencontrée, au printemps 2019, en me promenant, avenue Matignon au cours d'une exposition qui lui était consacrée.
Ami de Gauguin, il rejoint l'École de Pont-Aven pour laquelle j'ai tant d'admiration.
Entre alcool, drogue et mysticisme, il a porté sur ses épaules une étiquette de peintre maudit. C'est possible. Il n'empêche que son œuvre dépasse ces clichés.
Paysage magnifique. Ici, le partage en deux zones de couleurs dans les tons de terre, où le ciel devient la mer, ou plutôt l'inverse, avec ce voilier à l'horizon. Une palette dense, un dessin simplifié.
Charles Filiger. Paysage du Pouldu. -vers 1892- 26cm x 38.5cm Musée de Quimper
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Gabriele MÜNTER (1877 – 1962). Une des représentantes majeures du mouvement der Blaue Reiter, le fameux mouvement du Cavalier bleu. Après avoir été l'élève de Kandinsky, elle devint son amie pour le meilleur et pour le pire. Il l'abandonne lamentablement en 1916, et retourne vivre en Russie... Elle apprendra qu'il s'est marié et a eu un fils. Elle sauvera heureusement, une centaine d'œuvres de Kandinsky de la « confiscation des produits de l'Art dégénéré », une collection qui sera révélée au public à l’occasion de sa donation à la Städtisch Galerie im Lenbachhaus de Munich.
Ce fut le coup de foudre pour ce tableau lors de la visite de l'exposition de Gabriele Münter en avril dernier au Musée d'Art Moderne.
Subjugué par cette petite toile de 1908, Paysage avec cabane au couchant. Je reconnais avoir une admiration sans borne pour la peinture allemande d'avant 1914. Le premier de tous, Kandinsky, (j'essaie d'oublier son comportement), mais combien d'autres peintres du courant expressionnisme. Le choix était cornélien que de se limiter à dix peintres... Je pense à Klee...
Mais ici, je trouve magnifique, à la fois le jeu et l'exaltation des couleurs complémentaires entre elles, le jaune et le bleu, le rouge et le vert, sans oublier la dynamique de ces touches de rouges (les ballots de paille) qui animent la moitié basse de la surface de la toile en opposition à la stabilité de la partie haute avec ses grands aplats.
Du grand ART !
Gabriele Munter. Paysage avec cabane au couchant. -1908- Huile sur papier contrecollé sur carton. 33cm x 40.8cm -Kunstsammlungen Chemnitz-
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Georges RIBEMONT-DESSAIGNES (1884 – 1974). Quel personnage et quelle vie, ce Georges ! Assez éclectique, je l'avoue, car à la fois musicien et poète, il se rattache au mouvement Dada pendant une longue période de sa vie, sans oublier la peinture à ses heures. Proche du mouvement impressionniste et surtout nabi, c'est dans cette mouvance, mais pas seulement, qu'il a peint ce tableau vers 1907 .
J'ai rencontré ce paysage lors d'une visite au musée d'Angers.
Sa taille (105cm x 0,75 cm), pourtant conséquente, méritait mieux, que ce retour de mur auquel on l'avait, semble-t-il, fixé pour toujours. Le conservateur n'avait-il pas été sensible à ce fin liseré d'or et cet horizon bleu, d'un bleu indéfinissable... ?
Ce paysage du littoral méditerranéen semble abolir toute perspective, sauf celle qu'éprouve le solitaire que je suis pour la fascination des terres calmes et des rivages lointains. Matin ou soir, une aube dorée au pointillisme subtil, laissant à la crête de la colline quelques arbres fluets dansant dans la brise. Absence de personnage, aussi ; mais qu'importe, ici chantent, pour moi, ces deux vers de Baudelaire : « Là, tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté. »
Georges Ribemont Dessaignes. Paysage de bord de mer -vers 1907- 105cm x 75 cm Musée d'Angers.
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Jan Verkade (1868 – 1946). Il était d'origine hollandaise, de nature un peu mystique. Il est venu en France en 1891 et s'est très vite rapproché de l'Ecole de Pont Aven, de Gauguin et de Sérusier, dont il se fit un ami et proche du milieu des nabis.
C'est par des chemins un peu alambiqués, goûtant à la théosophie, à la numérologie, à l'ésotérisme... qu'il finira par trouver son chemin vers Dieu, après une conversion assez étonnante ! En 1897, il demande à renter au noviciat de l'abbaye de Beuron en Bavière. Cette abbaye connue pour son esthétisme un peu hiératique et froid semble d'abord l'avoir interpellé par cette approche assez particulière de l'Art sacré. Il y mènera la vie monastique durant 50 ans, et fera de nombreux voyages en Europe pour réaliser des fresques dans « l'esprit beuronien ».
Je ne connaissais pas encore le Père Willibrod Verkade lorsque j'ai poussé en 1988, pour une halte rapide, la porte de cette immense abbaye, très imposante par ses murs et le nombre de ses moines. Il devait certainement y avoir encore quelques dessins qui dormaient dans leurs cartons... J'aurais dû demander... !
Revenons à notre tableau. J'aurais pu choisir « Le Christ Jaune » ou les « Paysages près d'Arles » de Gauguin. Non. J'aime ce tableau « Marianne et sa vache » pour son silence. J'y associe des souvenirs d'enfance que j'ai connus dans le village de mes grands-parents dans le Livradois. Ce n'était pas la Bretagne, mais l'Auvergne. Je retrouve ainsi la naïveté des scènes de campagne, avec cette jeune fille un peu absente qui mène ses bêtes aux champs, la passivité de l'animal qui semble se réjouir de l'abondance de cette herbe florale, le tout peint dans un oubli volontaire de toute perspective.
Jan Verkade. Marianne et sa vache 1893 33cm x 43cm Coll. part.
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Commentaires
Merci Dominique pour cette expo si personnelle. Coup de cœur également pour Gabriele Münter, découverte via un doc d'Arte. Bises
Merci, Dominique, de cette visite de ton musée imaginaire et des découvertes auxquelles tu nous invites... Boursigot, Verkade et autres étaient pour moi des inconnus. Je connaissais et apprécie aussi Blanquet, de même que Ribemont-Dessaignes dont une vieille amie proche des surréalistes m'avait montré des toiles. Tu me donnes des pistes d'exploration !